29 décembre 2015.
Les derniers kilomètres de piste menant au poste frontière argentin de San Sebastian sont assez bons et le CC surfe sur les cailloux avec des pointes à 60 km/h. Les formalités sont pliées en quelques minutes, et le contrôle du véhicule en quelques secondes. Résigné, je demande pourtant au contrôleur qui tourne autour du camion la tête en l’air si je dois ouvrir le coffre de toit (c’est toujours une expédition). Il me répond par la négative et ajoute qu’il apprécie notre motorhome et ses guirlandes de Noël. C’est bon, nous voici en Terre de Feu argentine et nous retrouvons l’océan Atlantique que nous avions quitté à Cartagena en Colombie ! Nous retrouvons aussi l’asphalte et arrivons ainsi rapidement à Rio Grande, une des deux grosses villes de Terre de Feu argentine. Pour nous, il s’agit d’y faire halte pour les douches chaudes de l’YPF sur la Costanera et pour une nuit bruyante devant un hôtel de luxe, un peu paumé dans un quartier populaire le long d’une grand-route.
30 décembre 2015.
Nous poursuivons sur la route 3, avec un arrêt au garage Iveco de Rio Grande (GPS : -53.794174, -67.73349). Ils n’ont pas d’optique en stock, le phare avant droit ayant été explosé sur la piste, on verra donc ça plus tard. Nous nous arrêtons à la fameuse boulangerie La Union de Tolhuin, attrait principal de la petite ville dont elle a fait la renommée internationale. Il est vrai que c’est un régal.
Puis nous suivons une petite piste très, très cabossée et nous nous garons devant le lac Fagano, face au vent qui ne faiblit pas aujourd’hui. A peine sommes-nous couchés qu’Alexis est malade. Le pauvre n’a même pas le temps de sortir de son lit et vomit tout son repas. Ça pue et il en a mis partout. Me voilà quelques instants plus tard à rincer tout ça (sauf Alexis) à grandes eaux dans le lac glacial dont les vagues me mouillent jusqu’au caleçon tandis que Catherine lave notre petit bonhomme et lui refait un lit propre.
31 décembre 2015.
Alexis a bien dormi mais n’a pas grand appétit ce matin : il ne mange qu’une couque. Nous retournons à la boulangerie par la piste, bien meilleure, qui longe la plage du lac pour rejoindre la R3 plus au Sud, ce qui nous fait un aller-retour de 12 kilomètres, on prend donc logiquement 12 couques. Nous suivons ensuite la R3 qui remonte dans les montagnes tout en descendant vers le Sud et passe le col de Garibaldi à 450 m d’altitude (seulement) où on voit encore quelques plaques éparses de neige. L’arrivée à Ushuaia n’a rien de féerique avec son urbanisation chaotique et son port de fret, on le savait, mais elle marque pour nous un jalon important de notre voyage.
Fondée en 1884, la ville s’est développée une première fois autour de son bagne, construit en 1911 et une deuxième fois au cours des années septante, sous l’impulsion du gouvernement qui a octroyé des facilités aux colons dans un premier temps, puis sous l’impulsion du tourisme qui se nourrit abondamment du cliché « Fin del Mundo » décliné à toutes les sauces. Nous nous installons sur un grand parking bruyant, mais face au canal de Beagle. On fait quelques petites courses histoire de fêter le réveillon dignement, mais à peine de retour au CC, Catherine est malade, très abondamment, suivie par Valentin. Ouille, j’ai les chocottes de finir aussi l’année sur ou devant le pot ! Du coup, Catherine dort sur la banquette pour être au plus près de la destination et par précaution, je ne mange rien ni ne boit une goutte, ce qui me fera le réveillon le plus sobre depuis bien des années.
1er janvier 2016.
Bonne année et bonne santé. Pour nous, ça commence mal. J’ai tenu bon jusqu’à 3h du matin, et puis voilà. Alors aujourd’hui, il ne faut pas enquiquiner les VW. Mais on a beau être à Ushuaia, ce n’est pas la fin du monde, comme aiment néanmoins à le rappeler les slogans touristiques.
Il n’y a d’ailleurs pas que ça qui est rappelé sans cesse vu que, bien entendu, las Malvinas son argentinas. Il y a même un folder d’information très convaincant sur le sujet à l’office du tourisme. Les Argentins avancent des raisons géographiques (proximité du territoire argentin), historiques (Traité d’Utrecht en 1713, territoires espagnols puis argentins après l’indépendance en 1816 et occupation sporadique par la navale argentine) et légales (diverses résolutions de l’ONU). Selon les Argentins, le problème remonte à l’occupation illégale des îles par les anglais à partir du 3 janvier 1833. Les différentes tractations diplomatiques n’ont jamais abouti à un accord, si bien qu’en 1982, la junte militaire alors au pouvoir, cherchant à assoir son autorité par un coup d’éclat, décide d’envahir l’île en avril, s’empressant même d’éditer des timbres qui, de nos jours, sont des pièces de collection pour nos amis philatélistes. Mais l’Angleterre ne l’entend pas de cette manière et, après plusieurs batailles navales trois fois plus meurtrières pour les buveurs de maté que pour les mangeurs de gélatine verte (un millier de tués en tout), reprend possession de l’archipel et de son bureau de poste. L’écrivain José Luis Borges aurait dit de cette guerre : « C’est comme deux chauves qui se battent pour un peigne ».
2 janvier 2016.
On est en pleine convalescence, pas vraiment aidés par les nuits bruyantes de notre bivouac urbain. Par principe, on va quand même se promener, mais la ville n’a franchement pas grand-chose à offrir, si ce n’est quelques belles demeures et surtout une belle vue sur le canal de Beagle dans lequel se jette la cordillère de Darwin, il s’agit en fait des derniers soubresauts de la cordillère des Andes. Retenons qu’au même titre que le Chili, ce qui vaut à ce dernier de situer son centre géographique près de Punta Arenas (sic), l’Argentine revendique une large part du gâteau Antarctique, ce continent de plus de 14 millions de kilomètres carrés, dont les premières terres, ou glaces vu qu’il en est recouvert à plus de 99 pourcents, ne sont qu’à un millier de kilomètres d’Ushuaia et de son port qui sert de voie d’accès privilégiée pour les bateaux de croisières de quelques privilégiés. Dans un autre registre, je me décide l’après-midi à démonter la toilette qui a tendance à fuir quand on rince généreusement, ce qui a été le cas récemment. Bien sûr, il me manque le tournevis tork 25 requis, mais j’en trouve un dans une ferreteria après avoir tourné très longtemps en ville vu que presque tout est fermé ce samedi, lendemain du jour de l’An. Les Migatis, qu’on avait rencontrés en Équateur passent nous dire bonjour (et pas que ça) puis, nous montons vers le Glaciar Martial, censé proposer un bivouac plus calme. Mais ce soir, c’est l’invasion, il y a bien une douzaine d’overlanders, germanophones d’Allemagne ou de Suisse pour la majorité. Les contacts sont limités.
3 janvier 2016.
Petite journée relax, les kets jouent avec Amélie et Marion, deux petites suissesses (francophones) du pick-up-cellule d’à côté. Je travaille avec le PC sur le site et Catherine papote lentement avec les Suisses. C’est d’accord : on arrête la convalescence demain.
4 janvier 2016.
Il ne pleut pas beaucoup, mais il pleut fréquemment, nous commençons la journée par une séance d’école puis, à la faveur d’une bonne fenêtre météo, nous montons à pieds vers le point de vue du Glaciar Martial, un petit glacier accroché à la montagne éponyme, parmi quelques sommets enneigés à moins de 1.500 m d’altitude, derniers sommets de la cordillère de Darwin, alors qu’une épaisse couche de glace recouvrait toute la zone sur 1.200 mètres de hauteur lors de la période glaciaire il y a à peine 25.000 ans. Les kets sont excités de jouer dans la neige, qui tient encore en ce début de saison estivale.
Le canal de Beagle s’ouvre devant nous, marquant la frontière avec les derniers territoires de Terre de Feu chilienne, constituée d’un vaste réseau d’îles, de canaux et de fjords s’étirant jusqu’au Cap Horn qui n’est qu’à 150 kilomètres d’ici. Après, c’est l’Antarctique, terre qui, selon le traité de 1959, renouvelé en 2008, doit rester dédiée à la recherche scientifique et n’appartenir à aucune nation, bien que nombreuses sont celles qui en revendiquent un secteur, n’oublions pas que d’importants gisements y ont été décelés. Retour au bivouac et nuit très calme.
5 janvier 2016.
On est content de retrouver les Migatis, arrivés cette nuit, mais comme dirait mon épouse : « le frigo a triste mine ». Nous avons prévu de redescendre en ville faire quelques emplettes à l’Anonima, le supermarché local (on ne va tout de même pas céder aux sirènes du Carrefour français) puis de visiter le Parque Nacional Tierra del Fuego. Fondé en 1960, il couvre une superficie de 690 km2, mais seule une petite partie est accessible au public, le long de la Ruta 3 qui y déroule ses derniers kilomètres. Dès la sortie de la ville, la R3 se transforme en très bonne piste, mais très poussiéreuse. Il ne reste que 18 kilomètres avant d’arriver à la Bahia Lapataia, tout au bout de la Ruta 3, qui est au bout de la Terre de Feu, qui est au bout de la Patagonie, qui est au bout de l’Argentine, qui est au bout des Amériques. Mais pas au bout de notre voyage.
Nous sommes arrivés avec notre motorhome au point le plus éloigné de notre domicile bruxellois, distant de 13.546 kilomètres à vol d’oiseau. Depuis qu’on a quitté l’île de Vancouver le 5 novembre 2014 (on y était donc complètement à l’Ouest, il y a juste 14 mois), nous n’avons fait qu’aller vers le Sud. A partir de maintenant, on remonte vers le Nord, en espérant qu’on ne le perde pas, jusqu’au 51ième degré Nord. En attendant, on fait quelques jolies promenades et on retrouve les Suisses francophones à l’aire de camping libre de la Laguna Verde qui longe le Rio Ovando.
6 janvier 2016.
Le temps est mitigé, mais que croyez-vous, on est au bout du monde après tout ! Nous laissons le motorhome au camping et partons nous promener jusqu’à un barrage de castors. C’est impressionnant. On a vu non nombre de zone similaires, tableau désolant d’arbres morts enchevêtrés, sombre résultat de l’œuvre des gros rongeurs. Introduite en 1946 à des fins commerciales (exploitation des peaux de castors), l’espèce a proliféré vu l’absence de prédateur et saccagé les forêts en construisant des barrages qui inondent les racines des arbres, promettant à ces derniers une mort lente, certaine et humide. Un célèbre slogan dit d’ailleurs : « Sauve un arbre, mange un castor ». Nous parcourons ensuite le chemin de l’archipel des Cormorans jusqu’au poste de gendarmerie et rentrons au camping nous réchauffer dans le CC.
7 janvier 2016.
Les nuits noires sont très courtes, six heures tout au plus entre 23h et 5h, mais les stores occultant du motorhome nous permettent de passer outre et de tenir les kets au lit. Nous nous arrêtons au centre des visiteurs Alakush puis continuons jusqu’au Lago Roca d’où part une petite randonnée jusqu’au Chili, le sendero Hito XXIV qui traverse une forêt de lengas et de guindos (des faux hêtres). Bien sûr, le sentier s’arrête devant la ligne (imaginaire) de la frontière marquée par un panneau incitant les touristes à braver l’interdit. En fait, d’après mon GPS, le territoire chilien est encore à quelques dizaines de mètres, mais on joue le jeu.
Le sentier est parfois escarpé dans les rochers et passe quelques ruisseaux sur des ponts de fortune au passage d’un desquels je ne manque pas de me rétamer comme une crêpe, Alexis dans les bras, je l’aidais à traverser. Rassurez-vous, la crêpe n’a presque rien. Nous reprenons la bonne piste de la Ruta 3 et montons au terrain de camping libre le long du Rio Pipo, c’est magnifique mais très, très venteux. Le vent a même renversé un arbre sur les voies du train touristique Fin del Mundo.
Bien que ça soit l’été, nous sommes gratifiés d’une averse hivernale tandis qu’entassés à huit dans le CC (record battu), nous partageons l’apéro avec les Suisses de Lulu la tortue.
8 janvier 2016.
Le peu de soleil au réveil ne suffit pas à réchauffer l’habitacle, les quatre bougies allumées non plus. Je réactive donc la chaudière au gaz, surtout qu’il y a une usine de remplissage des bonbonnes à l’entrée de la ville. La dernière fois que j’avais allumé le chauffage, c’était au lac Titicaca il y a cinq mois, mais il fonctionne toujours impeccablement. Après le petit-déj, nous terminons la visite du parc national de la Terre de Feu par la baie d’Ensenada, qui abrite le bureau de poste du bout du monde, évidemment.
Le touriste de passage peut y faire tamponner son passeport, nous l’avons déjà fait à l’office du tourisme en ville. Il paraît qu’en Belgique, l’hiver se fait désirer, ici c’est l’été qui reste timide : pluie, vent, neige, grésil. Il n’y a décidemment plus de saison. Nous remontons au Glaciar Martial, profiter d’un bivouac calme, d’une belle vue et du wifi : on a été coupé du monde pendant trois jours !
9 janvier 2016.
Petite journée relax, travail sur le PC, histoire de ne pas perdre la main, jeux et promenade avec les kets et adieux aux petits Suisses de Lulu la tortue. Le vent se lève en fin de journée.
10 janvier 2016.
Record de la pire nuit largement battu. J’arrive à m’endormir vers minuit, bercé par le motorhome qui tangue comme jamais. C’est le moment que la mère de mes héritiers choisit pour me faire part de ses inquiétudes. Elle a entendu récemment de gens qui connaissent des amis qui savent que … Bref, un motorhome se serait renversé sous l’effet du vent. Je la rassure comme je peux : « c’est bon, t’inquiète pas, s’il devait se renverser, ça serait déjà le cas, avec les rafales passées ». Ou pas. Le vent s’intensifie et à chaque rafale, je serre les abdos et les fesses, comme si ça pouvait y changer quelque chose. A 5h, ce qui m’a décidé à bouger, ce n’est pas l’impression qu’on allait tomber (ça, on l’a ressenti toute la nuit), mais l’impression que le motorhome était soulevé. C’était juste une impression, mais ça m’a finalement décidé à ne pas rester là. Le problème à Ushuaia, c’est que toutes les rues longitudinales sont dans l’axe du vent et que les rues transversales, plus ou moins abritées, sont très pentues. Ça ne laisse que peu d’options. On se met alors sur le parking connu face au Canal de Beagle, face au vent et vaguement protégé par un fourgon. Au moins il y a une belle vue, le jour se le vent, oups se levant déjà. Magnanimes, les kets nous ont laissés dormir jusqu’à 7h. C’est royal. Autant vous dire que j’étais deux de tension toute la journée.
11 janvier 2016.
Aujourd’hui, c’est un grand jour pour les kets : on va changer la boîte à jouets. Nous avions pris quatre boîtes avec des jouets différents avant de partir : une avec des Legos Duplo, une avec des jeux de société et des puzzles, une avec des nounours et une avec le brol qu’ils ont eux-mêmes choisi. Du point de vue des parents, le mieux, c’est la boîte à Duplo car ça permet aux kets de jouer constructivement, dans le calme. Mais ce matin, les kets ont voté pour la caisse à brol : les petites voitures, les talkies, les baballes, les Spiderman et Max Steel, l’hélicoptère Playmobil, les outils, bref, le CC est transformé en souk et c’est l’anarchie totale, il n’y a plus moyen de poser mes petits pieds (on se comprend) sans écraser une surprise de Kinder Surprise. Malgré les giboulées de mars (même si on est en janvier et que c’est bien l’été ici) et les coups de grésil, je n’ai d’autre alternative que d’abandonner mon épouse à son triste sort et je pars me promener seul dès que le soleil se pointe, mais mon répit est de courte durée. Je passe voir l’épave du Saint-Christopher, le monument des Malouines, un chantier qui n’a pas vu de coordinateur sécurité et santé (salut les gars) depuis perpète et une fresque qui rappelle le passé bagnard de la ville. Je rentre sous la pluie et la neige, la visibilité au travers de mon hublot est quasi nulle.
12 janvier 2016.
Il n’y a qu’à voir la tête et l’accoutrement de mon épouse pour savoir que ça caille. Elle a enfilé deux pyjamas, dont un en flanelle, et je la soupçonne même d’avoir gardé ses chaussettes cette nuit. Elle est quand même plus fringante dans sa petite nuisette soyeuse. J’allume le chauffage et je pars chercher des couques à la boulangerie de l’avenida San Martin (dans toutes les villes ici, il y a soit une avenue soit une place San Martin, en hommage au libérateur). Puis, nous allons visiter les musées installés dans le bagne. Les premiers bagnards ont débarqué à Ushuaia en 1896 et y furent installés dans des cabanes en bois, le temps de construire l’actuel bagne. Ils ne chômaient pas vu que sur la même période, une ligne de chemin de fer fut inaugurée. Bref, ça bossait ferme et la consommation d’alcool était strictement prohibée, sauf sous prescription médicale. Le toubib était ici un dieu.
Avec fierté, nous lisons attentivement les panneaux relatifs à l’expédition du Belgica, sous le commandement d’Adrien de Gerlache, avec un certain Admunsen à son bord, qui fut le premier à atteindre le Pôle Nord par la suite. Non content d’être parmi les pionniers de l’aventure Antarctique, les belges furent les premiers à passer un hiver pris au piège de la glace. Un recensement des bateaux ayant sombré dans les environs a été effectué. Sur les 150 épaves relevées, plus de la moitié se concentre autour du Cap Horn, ce qui aura participé à la renommée légendaire du cap.
Les kets s’intéressent ensuite particulièrement aux pingouins exposés (mais le taxidermiste est passé par là) et à une galerie d’art où un monsieur a peint tous les dessins tout seul, hein, dixit mon ainé. L’histoire d’Ushuaia est également présentée, notamment les activités qui rythmaient la vie sociale : le carnaval, les processions, les cérémonies religieuses, la fièvre du samedi soir. Et que dire de Vincenta Saenz, miss Ushuaia 1934.
La visite dure des plombes, le frigo est vide et, pour une fois, je n’ai pas envie de faire la cuisine : on s’offre un bon asado au resto, une orgie de bidoche bien grasse et juteuse, même les kets se sont régalés. Puis, comme le linge déposé hier à la lavanderia est déjà propre et sec, on décide de se mettre en route vers des cieux plus cléments (vivement la nuisette …) C’est ainsi que commence notre longue remontée vers le Nord. On a plus de quatre mille kilomètres à taper pour arriver aux chutes d’Iguazu, et plus si affinité, alors autant s’y mettre tout de suite. Nous essuyons encore quelques giboulées et nous nous arrêtons au lac Fagano pour la nuit, perturbée par le seul vacarme des vagues, j’ai positionné le CC bien face au vent.
13 janvier 2016.
Rien de spécial au programme, on s’arrête à Rio Gallegos comme il y a deux semaines et nous poursuivons jusqu’au poste frontière de San Sebastian. On se le garde pour demain matin, comme les 93 kilomètres de ripio, le ferry et l’autre frontière à Monte Aymond. Vous l’aurez compris, pour quitter la Terre de Feu argentine, il faut passer par la Terre de Feu chilienne et pour quitter la Terre de Feu, il faut prendre un ferry.
14 janvier 2016.
Bivouac à la hauteur de nos espérances, simplement pratique car à côté du poste frontière argentin et bien protégé du vent. Quand même un peu pourri, mais moins que la piste qui nous attend. En fait, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise piste, il y a juste des pistes entretenues ou non. Là où je tapais le soixante à l’aise il y a deux semaines, je dois aujourd’hui ronger mon frein en regardant valdinguer l’écran « vintage » (salut Pauline) de la caméra de recul.
Le contrôle côté chilien est assez poussé, toutes les armoires y passent et ce n’est manifestement pas de la simple curiosité, mais le douanier constate qu’on n’a rien à cacher et qu’on s’est organisé en conséquence : le pot de miel est vide, les fromages et jambons non entamés (emballés sous vide), les légumes sont cuits et les fruits pelés, il nous faut juste manger ces derniers. Je ne peux m’empêcher de penser aux autres voyageurs qui jouent à cacher de la nourriture fraîche (fruits, légumes, viandes) et qui crient au scandale quand ils se font pincer. A part pour le sport, à quoi bon ? Puis, retour sur la piste et rebelote des cailloux et encore des cailloux, gros comme des melons pour certains. La niveleuse est sans doute en panne.
Seule surprise : les six derniers kilomètres de pistes sont fermés et déviés sur la nouvelle route, de sorte qu’il n’y a plus que 87 km (56 + 37 – 6) de mauvais ripio. Nous quittons ainsi la Terre de Feu sur cette bonne note et sur le ferry du transporteur Broom. Ça roule bien, la journée est bonne, tiens si on s’offrait encore un petit passage de frontière ? C’est chose faite avec le Paso Integracion Austral, qui concentre les guichets dans un seul bâtiment.
On tente le bivouac à la Laguna Azul de l’autre côté de la frontière (en Argentine, donc pour ceux qui suivent), mais le vent est si fort que ça me décoiffe. Je ne puis l’accepter et nous poursuivons jusqu’à Rio Gallegos, une grande ville bien moche. Le bivouac classique à la station ACA (Automobil Club Argentino), ne nous enchante pas du tout. Comme on doit remplir le gaz demain, on se pose devant l’usine Surgas. A part quelques clebs, c’est calme.
15 janvier 2016.
Matinée bien chargée : le gaz, le plein de diesel, le plein d’eau, le plein du frigo (au Carrefour, Catherine était toute excitée, il ne lui faut pas grand-chose) et le garage Iveco de Rio Gallegos (-51.627037, -69.2541) qui est fermé de chez fermé.
Puis, on s’élance sur la R3. Il fait beau, pas trop chaud et il n’y a presque pas de vent. Le paysage est monotone mais agréable, on voit des dizaines de guanacos, vivants pour la plupart, quelques flamants roses et même un tatou, mais ce dernier n’a plus tout : il a perdu sa tête. Ouf, les kets n’ont rien vu. On traverse quelques dépressions (pas de déprime, rassurez-vous) tandis que les kets jouent calmement avec la Storio (tablette pour kets) et que je refais le monde avec mon épouse.
BAM ! Blamblamblamblamblam. L’explosion résonne encore dans nos oreilles que le CC est déjà arrêté dans les graviers sur l’accotement. Verdict : pneu arrière droit intérieur explosé. Déchiré. Déglingué. Il y a des morceaux étalés sur la route. Pourquoi ? Peut-être la piste d’hier, ou simplement une crasse sur le revêtement routier, ou autre chose. J’en sais rien et franchement, rien à cirer. Rien à battre. Rien à faire. Rien à secouer. Au moins, ça arrive à point nommé : il est midi, le Mac Morning, c’est fini. Catherine cuit un gros steak et des patates pendant que je remplace la roue, le CC vacillant à chaque passage de poids lourd. Tiens, à propos de passage, celui des roues jumelées droite a été amoché dans l’incident et un gros morceau de la bavette est désintégré.
Je dois d’abord parer au plus urgent : remonter les roues, manger mon steak, affonner une (toute petite) bière et quitter ce bord de grand-route. Notre objectif du jour, le parc national Monte Leon, rempli de pumas, ce n’est plus pour nous, vu qu’on a d’autres chats à fouetter (lol – mdr) et on continue jusqu’à Piedrabuena pour visiter une gomeria (llanteria si vous préférez) et déjanter le pneu hors d’usage puis rejanter celui qui traînait sur le toit depuis Puno au Pérou. Voilà, il ne me reste plus qu’à permuter les roues et récupérer la roue de secours, je préfère conserver un pneu en parfait état, pour la remettre en dessous du châssis. Et je fais tout ça sans aucun gros mot. Même la réparation du passage de roue et la repose de ce qu’il reste de la bavette. Il n’y paraît plus rien.
16 janvier 2016.
Le problème des pneumatiques réglé, nous revenons de quelques kilomètres sur nos pas (ou sur nos roues) puis bifurquons sur la RN288, une belle ligne droite asphaltée qui mène à Puerto Santa Cruz. Nous poursuivons jusqu’à Punta Quilla, pour un bivouac très calme, même un samedi soir, avec vue sur l’océan Atlantique.
Il est possible d’aller à pieds voir une colonie de manchots de Magellan en suivant la plage de galets, mais attention à la marée haute qui monte de dix mètres par rapport à la marée basse. Après avoir consulté la préfecture navale, nous décidons de remettre la ballade à demain matin, au profit de jeux avec les kets.
17 janvier 2016.
Réveil matinal : les kets sont excités d’aller voir des manchots de Magellan, nous quittons le CC à 9h et marchons sur l’immense plage de sable et de galets environ deux kilomètres et demi. Nous croisons quelques guanacos, ça fait bizarre d’être si près d’eux alors que nous les voyons habituellement depuis le motorhome. Un peu plus loin, voici les manchots de Magellan. Les plus petits n’ont pas encore perdu leur duvet et sont à peine dissimulés dans les fourrés. Nous ne sommes qu’à quelques mètres et n’approchons pas plus pour ne pas les perturber, mais la famille d’Argentins qui arrive juste après nous n’a pas cette délicatesse.
Au retour, les kets courent sur la plage dominée par de hautes falaises, ils sont rouges comme des tomates. Le soleil cogne et nous passons l’après-midi dans le motorhome, scrutant régulièrement la mer. En fait, il s’agit de l’estuaire du Rio Santa Cruz, chargé de sédiments issus de la fonte des glaciers du Campo de Hielo Patagonico Sur qui lui confèrent cette belle couleur azur alors qu’il se jette ici dans l’océan Atlantique. Les dauphins de Commerson (les toninos blancs et noirs) ne feront leur apparition par quelques cabrioles qu’en fin de journée alors que la marée est au plus haut.
18 janvier 2016.
La nuit fut calme, je resterais bien encore ici, mais mon épouse insiste pour aller au camping municipal de Puerto Santa Cruz, afin d’y laver les draps, les couvertures et de mettre le motorhome en mode « été » : on relève jusqu’à 37 °C en ce moment à Buenos Aires (et vous imaginez bien que je ne suis pas pressé d’y arriver). Les kets ont envie de jouer dehors dans le jardin et moi, j’ai envie de les regarder jouer. En plus, il y a des douches chaudes, et le gérant étant malade, c’est gratuit pour le moment.
19 janvier 2016.
Mini vacances au camping, on continue les lessives et on peaufine la suite de l’itinéraire avec une vue plus précise du temps qui nous reste en Amérique, désormais compté. Je m’occupe des garçons en leur donnant l’école, Valentin me remercie : « Papa, toi t’es un peu vieux parce que tu as des rides ». Mwouais, je lui fais poliment remarquer que je n’en avais pas avant de rencontrer sa maman. En fin de journée, je pars à la station-service faire une mise à jour (il y a du wifi) et découvrir la petite ville calme et sobre qui nous offre le camping.
20 janvier 2016.
La vague de chaleur est confirmée : 37 °C à Buenos Aires et même 38 °C à Trelew, distant de seulement 800 kilomètres. On va gentiment attendre que ça se calme, il n’y a ici au maximum que 33 °C dans la cellule en plein soleil et ça descend bien la nuit.
On passe la matinée à la bibliothèque municipale (wifi : 20biblio15), et l’après-midi à l’ombre de l’auvent du CC. Pour le plus grand bonheur des kets, je gonfle la petite piscine et même, je la remplis d’eau. Incroyable n’est-ce pas. Ils y passeront près de deux heures à se rafraîchir en jouant.
21 janvier 2016.
Bibliothèque, petites courses, ménage, piscine (gonflable). Demain, on lève le camp.