11 avril 2015.
Le passage de frontière à Paso Canoas est agréable et rapide, à peine une heure pour sortie Costa Rica et entrée Panama, une fois n’est pas coutume. Pour entrer au Panama avec son véhicule, il faut souscrire à une assurance obligatoire et enregistrer le CC, puis passer à la fumigation, outre l’habituel tampon dans le passeport pour l’immigration des voyageurs.
Le dollars US a été adopté en 1904, suite à la séparation avec la Colombie et l’établissement de la République du Panama le 3 novembre 1903, avec le soutien du gouvernement américain. Ainsi, la monnaie locale, le balboa, est le dollar américain, mais les panaméens lui donnent le même nom, à savoir le balboa. La mitraille s’échange donc aussi bien en dollars qu’en balboas (les pièces sont tout de même frappées ici), mais pas les billets qui sont uniquement des dollars US appelés donc ici balboas, c’est logique. La route qui poursuit jusqu’à David est très bonne, puis celle qui monte à Boquete, sis à 1.100 m d’altitude, est excellente et agrémentée d’un beau paysage : les hautes terres de la province Chiriqui, bordées de plantations de café.
Nous arrivons en pleine feria, avec un défilé de chevaux montés par de fiers cowboys et nous nous installons à la pension Topas, tenue par un allemand tintinophile collectionneur de motos. Il y a une piscine mais le fond de l’air est trop frais pour y aller : je revis. Le soir, nous avons même droit à un feu d’artifice et un concert tonitruant jusqu’aux petites heures de la nuit.
12 avril 2015.
Petite journée relax, juste les lessives à la lavanderia du coin et le nettoyage intérieur du motorhome. Les kets vont dans la piscine, mais pas longtemps. En ville, quelques saoulards cuvent encore de la veille à côté de jeunes indiennes en tenue traditionnelle colorée. Plus de 13 pourcents de la population du Panama est indienne, ici les Ngäbes et les Buglés ou plus à l’Est les Gunas et les Emberás. Encore fort attachée à ses traditions précolombiennes, la population indienne jouit de certains territoires semi-autonomes qui leur sont réservés, mais sans accès aisé à l’eau, à l’électricité et aux soins de santé.
13 avril 2015.
Nous partons vers 10h du matin, cool Raoul, la fleur au bout du fusil. Mal nous en a pris. Si la route est bonne jusqu’à David, on l’a vu à l’aller, après c’est une autre affaire. Des travaux sur plus de cent kilomètres, qui mélangent le meilleur et le pire : quelques kilomètres d’asphalte plat comme un billard sont disséminés dans une Panam chaotique et défoncée où l’élan est systématiquement interrompu par des chantiers mobiles.
Bref, ça n’avance pas et on arrive en fin d’après-midi à Santiago où nous décidons de passer la nuit. L’objectif était d’aller à Santa Fe dans les montagnes pour avoir de l’air frais, mais cela nécessite encore une heure de route supplémentaire, au moins. Le bivouac est convenable : un parking de centre commercial flambant neuf. Sans aucune hésitation, je branche même le CC sur une borne électrique, histoire de garder le lait des garçons bien au frais. Par contre, il y a toujours 30 °C à l’intérieur vers minuit, je vous passe donc les détails de la nuit torride avec ma femme dans notre lit de 125 cm en capucine…
14 avril 2015.
Nuit torride mais courte, Valentin est réveillé à 5h et est d’avis que ça suffit. Je partage son point de vue et je décide de lever le camp, direction El Valle à 180 km. Au moins ce départ matinal nous vaudra un beau lever de soleil sur la carretera interamericana qui est d’ailleurs en bon état sur ce tronçon, c’est à souligner. Quittant la Panam, nous montons vers El Valle, petite ville touristique nichée dans le cratère d’un volcan éteint.
Nous trouvons la caserne des pompiers où nous pouvons rester pour la journée et même pour la nuit, l’accueil y est très bon : un peu d’herbe (du calme, il ne s’agit pas de celle qui se fume), de l’eau et même le courant (ben oui, j’amorti mon investissement – le transfo). Il y a un couple de Belges déjà installé avec qui nous échangeons nos bons tuyaux vu qu’ils remontent vers le Nord. Il y a même une plaine de jeux correcte et une bonne boulangerie à portée de pieds.
15 avril 2015.
Très bonne nuit au fond de ce cratère de volcan endormi. Après le petit-déj, je pars en vadrouille, laissant Catherine à son atelier couture et à ses gamins qui la surveillent de près. Je repasse devant l’église puis bifurque vers la calle de Los Millionnaires qui abrite quelques baraques bien entretenues par du personnel en nombre.
Le cratère est bordé de montagnes aux formes douces, couvertes de forêt denses. De retour au camion, il était temps que je rentre : ma femme est intenable, les kets sont à bout. Tel le Messie tant attendu, je sors la nouvelle piscine gonflable, surtout qu’il n’y a pas de rosier dans les parages, pour mes fils qui ont bien mérité un moment de détente. Après le repas et la sieste (j’ai droit aussi à ma récré), nous faisons un peu d’école, Alexis apprend à écrire l’alphabet en lettres minuscules et Valentin en lettres MAJUSCULES. Puis, au moment de ressortir, nous voilà gâtés, c’est la bonne pluie de la saison des pluies qui arrive soudainement. Je remballe tout car nous partons tôt demain matin pour Panama City où nous devons remplir les formalités pour le ferry vers la Colombie.
16 avril 2015.
Nous quittons El Valle de bonne heure, alors que le soleil se lève à peine, mais ça ne nous empêchera pas de nous coltiner les embouteillages de Panama City à 8h du matin. Nous entrons dans la capitale par le célèbre pont des Amériques qui franchit le canal de Panama, et arrivons aux bureaux de la Police où Michaël (La Vie Devant – Les Kilomètres Derrière) termine justement la procédure d’inspection du véhicule.
Nous le retrouverons à 14h devant les locaux de la Division d’Investigation Judiciaire, la DIJ. En attendant, nous allons visiter le site des écluses de Miraflores, qui constituent la porte d’entrée du côté Pacifique du canal. Fort de son succès au canal de Suez, Ferdinand de Lesseps se mit en tête de réaliser le canal de Panama, mais la tentative française se solda par un cuisant échec à la fin du 19ième siècle.
Par un tour de magie dont ils ont le secret, les Américains obtinrent la concession du canal le 28 novembre 1903, soit deux semaines après la proclamation d’indépendance du Panama, immédiatement reconnue par les États-Unis d’ailleurs. Après dix années de travaux titanesques, le canal fut inauguré en grande pompe. En fait, il constitue un sacré raccourci pour les navires qui évitent ainsi le détour par le Cap Horn. Le passage du Nord-Ouest ne constituait pas à l’époque une alternative valable, Roald Admunsen ayant mis trois ans à le franchir (en s’offrant trois hivernages au passage). 77 km qui se franchissent en une journée (au lieu de 11.000 km via le cap Horn), pour un coût moyen de 125.000 USD, le temps c’est de l’argent paraît-il. Les écluses actuelles, Miraflores, Pedro Miguel et Gatun, au gabarit Panamax, sont trop petites pour accueillir les plus gros vaisseaux, alors un nouveau chantier visant à réaliser des écluses plus grandes est en cours et permettra au canal d’accueillir le gabarit Post-Panamax. Outre les trois complexes d’écluses, le canal s’appuie sur les lacs de Gatun et de Miraflores dans lesquels un chenal est constitué et le Rio Chagres assure (plus ou moins) l’approvisionnement en eau. Le canal qui a donc fêté son centenaire l’année passée est géré par le Panama depuis le 31 décembre 1999 à midi, moment convenu avec les Etats-Unis pour la rétrocession du canal. Pour l’occasion, les américains se sont offert la priorité de passage : les vaisseaux battant pavillon américain passent avant les autres ! Le canal compte désormais deux concurrents potentiels : le réchauffement climatique qui est en faveur du passage du Nord-Ouest et le Nicaragua qui pourrait un jour succomber aux propositions chinoises visant à réaliser un canal passant par le lac Nicaragua.
Après cette passionnante visite, nous allons à la DIJ pour récupérer le papier qui n’avait qu’à traverser la rue vu que nous étions en face ce matin. Pour ce faire, il nous a suffi d’attendre pendant deux heures et demi, heureusement avec la bonne compagnie de Michaël qui est au moins aussi patient que moi, et de Daniel, un franco-québécois à la retraite. Séduit par l’Administration panaméenne, je me vois déjà à sa tête … Nous bivouaquerons cette nuit devant l’hôtel Country Inn.
17 avril 2015.
Encore une nuit brûlante, décidément je ne m’y fais pas. Nous nous rafraîchissons ce matin à la piscine de l’hôtel de nos amis suisses en passant discrètement par une porte de service. Oui, c’est tout à fait honteux. Pour visiter le centre-ville, nous laissons la casa rodante au Albrook Mall (jamais vu de centre commercial aussi grand) et prenons le métro, ça m’avait manqué.
Rapide, efficace et climatisé, le métro de Panama, le seul d’Amérique Centrale, nous conduit en quelques minutes dans le centre moderne de la ville. Puis une promenade le long de l’avenida Central, une sorte de rue Neuve à la mode locale, nous mène au Casco Viejo, qui abrite les plus beaux monuments historiques de la ville, à commencer par l’Église de la Merced. En fait, seules quelques rues sont restaurées quelques bâtiments avantageusement remis en valeur, mais dès qu’on s’écarte un peu, bingo, on retrouve des chancres.
Au Palais Bolivar, qui fait actuellement office de Ministère des affaires étrangères, nous croisons des diplomates en costume-cravate, et je leur tire mon Panama (qui soit dit en passant est fabriqué en Équateur), parce que déjà en short et t-shirt, ça me paraît intenable. De retour à l’hôtel, enfin au squat de luxe à côté de l’hôtel, nous profitons de la piscine avec vue sur l’entrée du canal de Panama et la structure métallique en treillis du pont des Amériques, inauguré en 1962.
18 avril 2015.
Hier, l’accès au palais présidentiel était impossible, alors nous y retournons ce matin. En fait, pas grand-chose de plus à voir, on nous donne juste l’accès, sous bonne garde, à la zone sécurisée devant le palais qui offre une belle vue sur la ville moderne, bardée de gratte-ciels.
Nous décidons ensuite de visiter le vrai centre névralgique de la ville : l’Albrook Mall, un immense centre commercial, tout ce que j’adore, paradis de la consommation et du fast-food. Deux bottes secrètes lui redonnent néanmoins toute mon estime : l’air frais et le carrousel. En fin d’après-midi, nous retrouvons nos amis de La Vie Devant, toujours à l’hôtel Country Inn où nous avons maintenant nos habitudes : la piscine, le wifi, le café et les petits biscuits. Dorment près de nous cette nuit deux cyclistes français qui sont venus de Cancun à vélo, tout simplement.
19 avril 2015.
Cette fois, nous levons le camp et quittons ce magnifique bivouac. Empruntant la Panam, nous arrivons sur le site des écluses de Gatun, qui avec celles de Miraflores et de Pedro Miguel, assurent le transit des bateaux à travers le canal en compensant les 26 mètres de dénivelé jusqu’aux lacs artificiels de Gatun et de Miraflores. Nous sommes bien gâtés et voyons passer un super-tanker, un porte-container et un bateau de croisière.
Tous sont au gabarit Panamax large de 32,3 m et long de 294,1 m et n’ont que quelques dizaines de centimètres de marge le long des flancs des écluses. Les travaux qui visent à agrandir cette capacité porteront ce gabarit à 49,0 m de large pour 366,0 m de longueur, on parlera alors du gabarit Post-Panamax et la capacité de transport par navire sera plus que doublée. Après cette formidable visite, nous tentons un bivouac sur place, mais le service de sécurité des écluses nous escorte en dehors du périmètre du canal. Nous échouons alors à la marina de Shelter Bay, où nous retrouvons les suisses qui entre-temps ont déjà laissé quelques kilomètres derrière eux.
20 avril 2015.
Bon accueil de la marina, finalement, où nous trouverons même des douches, du wifi et quelques yachts. Puis, c’est le grand jour, celui du bateau, seul moyen d’accès en Colombie depuis le Panama, aucune route ne traversant le bouchon du Darien, cette région de jungles et de marécages, large de 60 kilomètres et longue de 165 kilomètres, habitée par des tribus hostiles à tout projet de voirie qui de toute façon n’est pas près de voir le jour, vu les conditions (et accessoirement, vu le manque de soutien des States). Quelques aventuriers ont toutefois forcé ce passage mythique, à pieds, à vélo ou à moto et même en voiture, mais ces derniers n’avancèrent que de quelques centaines de mètres par jour. De nombreuses expédition ayant échoué et par respect pour les indiens, nous optons donc logiquement pour le ferry, ce qui nous a déjà valu toute une journée à Panama City pour recevoir un papier qui n’a fait que traverser la rue entre les bureaux de la Police et de l’Inspection Judiciaire. Aujourd’hui, encore une journée de records. Arrivés à 8h30 au port de Colon, je suis ravi de voir que le SNAV Adriatico est déjà à quai. C’est royal : nous pouvons stationner sur un terrain vague en plein soleil, avec une bonne dizaine d’autres équipages et donner une première série de photocopies des papiers à 10h, puis une deuxième série à 15h, pour enfin recevoir la visite d’un contrôleur dans la foulée, soit vers 16h. Puis vers 17h30 ce n’est pas encore la fin de la journée, on reçoit un nouveau papier qu’on remet aux douanes (c’est là que me revient à l’esprit la borne informatique – en panne – de la DIJ qui arborait fièrement le slogan « Panama sin papel », qui n’est en fait d’application que dans les toilettes publiques).
Enfin, le CC peut embarquer vers 18h30 et je l’arrache ainsi à son terrain vague ensoleillé. Nous pas, ça serait trop facile. On doit encore passer à l’immigration, qui nous recevra à 21h. Pendant la fouille des sacs, l’agent veut me confisquer mon outil Leatherman, sous le prétexte que son pays répond aux normes internationales. Je lui demande si c’est une blague, il me dit que non, je lui rétorque que si, si, c’est une blague. Puis c’est une pitoyable scène de cinéma (après une journée pareille, j’avoue être irascible), Catherine peste, Valentin pleure et Alexis râle. En fait, l’agent veut me donner une petite leçon et jouer au plus con, je le laisse donc gagner, mais j’obtiens que mon arme de destruction massive soit mise en dépôt dans le navire, je pourrai ainsi la récupérer à la fin du voyage. Beati pauperes spiritu. Nous sommes malgré ça contents d’accéder à notre cabine privative avec salle de douche, et soulagés d’en avoir terminé avec cette longue journée qui finalement ne doit pas éclipser le fait que nous franchissons ainsi une étape importante de notre voyage, Amérique du Sud, nous voici.
21 avril 2015.
Nous voici mais pas trop vite quand même : le navire ne larguera les amarres que vers 2h du matin, avec 7h de retard sur le programme. Pour une traversée de 16h, ça fait beaucoup. Du coup la journée est longue et nous restons dans la cabine ou à proximité de la salle de jeux.
On n’est pas loin de la croisière s’amuse. Enfin, la délivrance, le bateau accoste et nous pouvons débarquer vers 19h. Au moment de prendre le motorhome, Alexis qui a vraiment une mémoire d’éléphant me rappelle de récupérer mon outil confisqué.
