9 février 2015.
Un anniversaire de mariage, ça se fête. Je fais donc le tour du village pour ramener le petit-déj à ma Princesse, et après avoir libéré deux suisses-allemands joviaux, loquaces et sympathiques, comme chacun le sait (notre vieux RV bloquait leur rutilant pick-up cellule, mais ils avaient décidé de ne pas décoller avant 10h), nous pouvons enfin emprunter le bus en direction du centre d’Oaxaca. Prendre les bus urbains au Mexique, c’est déjà un voyage en soi. Le pilote, car c’en est un, en est sans doute à son dixième trajet de la matinée, les haut-parleurs saturent de musique techno, et, petite coquetterie, des lampes LED mauves clignotent au rythme des basses. Pas besoin de freiner sur les topes pour épargner les amortisseurs : il n’y en a pas (d’amortisseur). En dépassant les camions en triple file et les autres bus, les parois se frôlent, et le pilote démontre non seulement qu’il maîtrise la théorie du gabarit tremblé, mais aussi qu’il n’a pas oublié que je lui avais demandé : « cerca del zócalo » et prouve ainsi qu’il n’a pas besoin de système performant d’assistance au freinage : il l’assure tout seul. Dix minutes de marche plus loin (oui, les distances se comptent en temps ici) et un jus d’orange frais dans le gosier, nous débouchons sur la Grand-Place où règne une activité intense. D’un côté, ceux qui travaillent avec un objectif à court terme : vider les poches du touriste, c’est de bonne guerre. D’un autre côté, ceux qui travaillent avec un objectif à (très) long terme : changer le monde, et à tout le moins, changer le Mexique (yes, you can). Bref, nous voici sur un zócalo pas comme les autres, envahi par les tentes des manifestants qui savent que le changement, ce n’est pas pour maintenant.
L’immuabilité de la cathédrale nous appelle, mais comme les deux kets y mettent trop d’ambiance, on ne s’y attarde de pas. Ils seront plus calmes dans l’église Santo Domingo dont la chapelle du rosaire rivalise avec celle de Puebla. Mes fils sont fascinés par les peintures au plafond, ils veulent savoir quel est chaque personnage, et surtout, si c’est un gentil ou un méchant.
Un peu plus loin, nous dénichons un petit restaurant comme on les aime, du bio, du végéto et du bobo, face au parc Juarez, à quelques pas d’une énorme plaine de jeux plus ou moins aux normes et de l’arrêt de bus pour retourner au petit village de Santa Maria del Tule.
Avec Alexis, je fais le détour jusqu’à l’arbre le plus gros du monde (un rival du Général Sherman), un cyprès de plus de 2.000 ans et de 14 mètres de diamètre : je dois enclencher le mode panoramique pour le cliché. En repartant, j’aperçois une famille francophone de trois garçons dont les parents ont des têtes de rêveurs qui réalisent leurs rêves.
Je ne m’y trompe pas : leur motorhome trône à l’autre bout de la place du village, un Mobilvetta sur châssis Iveco, comme le nôtre. Et là, c’est fou ce qu’un projet similaire favorise l’alchimie sociale, nous discutons allègrement pendant que les enfants, trop contents d’échanger avec d’autres, jouent gaiement comme de vieux copains de classe. Au camping, je les présente à Catherine et à Valentin, qui valident, et rendez-vous est pris pour le lendemain sur le site de Mitla. A nouveaux seuls, encore dans l’excitation du moment, les fils de ma femme balancent la piscine gonflable dans les rosiers qui seront les seuls à sortir indemne de cet acte hautement répréhensible.
10 février 2015.
Partant de bonne heure, nous retrouvons rapidement la famille Démon de Maxwell rencontrée la veille et qui a bivouaqué sur le parking du site de précolombien de Mitla, que nous visitons ensemble, mais j’avoue être plus intéressé par les histoires de Manu et Clarisse que par celle des zapotèques qui furent les acteurs principaux de ces lieux qui offrent à présent de multiples cachettes aux cinq garçons qui courent dans tous les sens.
Un nouveau rendez-vous est fixé aux sources de Hierve de Agua, un site inattendu et préservé des hordes de touristes occidentaux mais fréquenté des mexicains, et qui se mérite (piste entretenue de 4 km après avoir traversé quelques villages agrémentés de topes).
Des sources d’eau plutôt froide et chargée en calcaire alimentent des piscines et des cascades ou des falaises de calcaire, c’est le débat du jour. Nous profitons d’un long et agréable apéritif entre adultes consentants alors que les kets se reposent et restons sur place pour la nuit.
11 février 2015.
Si la nuit fut bonne, la journée fut exécrable. Purée, quelle journée de merde! Comme je le craignais, Manu me confirme qu’il y a une prise d’air dans le filtre Raccor, qui du coup, coule légèrement. La pompe à diesel du camion compense lors du démarrage mais il faudrait vérifier cela assez vite. S’ensuit une route d’abord bien pourrie avec du tope en veux-tu en voilà et même si t’en veux pas, il y en aura. Puis la route devient une belle route de montagne de chez montagne. Bref, en trois heures de route, nous parcourons un pitoyable 100 km. Quand on sait que près de 600 km nous séparent de San Cristobal de las Casas, notre objectif, c’est assez décourageant. Quand, enfin la route offre quelques lignes droites et que je peux passer la 6ème, vlan un camion projette des pierres dans une zone un chantier de l’autoroute à péage. Clac, deux éclats rapprochés sur le pare-brise. Un comble, on s’offre l’autopista pour préserver le véhicule et le voilà balafré! Je le signale à la caisse de recouvrement, à tout hasard et pensant me faire rabrouer, mais non, le responsable appelle l’expert-qualité qui arrive deux heures plus tard, le temps pour moi de changer un pneu crevé, comme si ce n’était pas encore assez.
Voilà la première (et dernière, sacrebleu) crevaison de notre périple et de toute ma chienne de vie d’ailleurs. Entre-temps, nous avons perdu nos nouveaux amis, mais nous les retrouverons sans doute au Chiapas. Les papiers remplis avec l’expert-qualité, on verra ce que ça donne, nous roulons encore une heure jusqu’à la Pemex torride et bruyante de Santo Domingo Zanatepec. Bilan de la journée : 350 km, un pneu crevé, un pare-brise bousillé, un filtre défaillant et des nuées de moustiques. Ah, l’aventura …
12 février 2015.
Cette nuit n’en fut pas une. Au moins le mélomane parqué à côté du CC avait bon goût : nous avons beaucoup aimé la chanson Rosalia qui a tourné de 2h01 à 2h05. Dès les premières lueurs de l’aube, nous roulons vers Tuxtla où nous arrivons assez vite finalement, entre route en bon état, hormis les traversées de villages, et autopista cuota. Passage chez Home Depot pour racheter des tires-fond servant à refixer la roue de secours sous le châssis, j’en ai tordu en la démontant, puis dans une llanteria (sorte de monsieur pneus) pour réparer le pneu crevé (un clou), remonter le pneu réparé, refixer la roue de secours (en fait la roue avant droite usée), faire l’alignement de la roue avant droite et réaliser qu’ils n’ont pas de pneus de rechange équivalent à ceux du CC.
Pendant ce temps-là, Catherine fait les courses à la Bodega Aurora du coin et se fait poursuivre par le gardien parce qu’elle ramène ses emplettes au CC avec le caddie, en dehors de l’enceinte du magasin. Stimulé par sa mère, Valentin lui dira : « Casse-toi » (au gardien). Nous quittons la ville et s’en suit une fameuse montée qui en 40 bornes nous monte de 500 m à plus de 2.100 m d’altitude. Le liquide de refroidissement flirte avec les 100°C, alors je mets le chauffage à vollenbak pour favoriser le transfert thermique et redescendre à 80°C. Après avoir traversé le centre-ville et s’être offert quelques sueurs froides, merci Frida, voilà ce qui arrive quand on suit aveuglément son GPS (j’ai dû manœuvrer rétros rabattus et déplacer l’une ou l’autre clôture de chantier pour passer les ruelles étroites en travaux), nous débarquons enfin au Rancho San Nicolas, le camping où nos comparses français, la famille Démon de Maxwell, sont déjà installés. Les enfants jouent ensemble tandis que les parents bricolent et profitent enfin de la soirée pour discuter et jouer au billard.
13 février 2015.
Après une excellente nuit et un succulent petit-déjeuner, nous partons en groupe pour se promener dans le centre de San Cristobal de las Casas. Les rues y sont animées et fort fréquentées par des touristes de tous horizons, avec une majorité de néo hippies en déclinaison de grunge et même de beatniks.
La cathédrale qui jouxte le zócalo est assez sobre et étale moins de richesses que celles vues précédemment. Nous poursuivons jusqu’au Templo del Carmen et au centre culturel qui abrite un beau jardin intérieur. De retour au campement, nous sommes au four et au moulin, c’est fatiguant les vacances! Bricolage, nettoyage, lessive, installation des moustiquaires imprégnées autour des lits, Catherine me coupe même les cheveux. Pendant ce temps-là, les kets belges jouent avec les garçons français, Paul, Côme et Alix. Manu, leur papa, me donne un coup de main pour contrôler la mécanique de notre porteur Iveco, chouette moment que de se retrouver entre hommes, cachés sous le motorhome à discuter silent block et arbre de transmission. Le soir venu, c’est notre récré, nous nous retrouvons entre adultes au coin du feu, les enfants communiquant avec nous depuis les motorhomes grâce au talkie-walkie en guise de baby phone.
14 février 2015.
Les deux Mobilvetta se mettent en route vers les belles cascades d’Agua Azul en empruntant la terrible MEX199. Quatre heures nous serons nécessaires pour rallier Ocosingo à seulement 90 km. Des prédécesseurs ont dénombré plus de 200 topes sur cette route. C’était sans compter les vibradores, les nids de poules, les nids de nandous et les nids de vélociraptors (incroyable, n’est-ce pas).
Passé Ocosingo, on traverse moins de village, donc moins de topes, et on trace les 65 derniers kilomètres en deux heures trente. Et le pire c’est que même à cette allure, on a à peine l’occasion de profiter du magnifique paysage tellement les yeux sont rivés sur la route pour être sûr de ne louper aucun obstacle, un seul pouvant se révéler être fatal. Seuls moments agréables sur cette route infernale, les sourires et les saluts des villageois qui semblent nous attendre sur le bord du chemin et à qui nous répondons de bon cœur, avec le sentiment de connaître l’émotion qu’on dû ressentir Philippe et Mathilde lors de leur Joyeuse Entrée dans les rues d’Arlon. La présence policière est assez importante, et jusqu’ici, nous n’avons été sollicité ni par les zapatistes, ni par les forces de l’ordre officielles. Arrivant en fin de journée sur le site des cascades d’Agua Azul sous bonne escorte (un pick-up de la police d’état nous suit depuis des kilomètres), les bus de touristes s’en vont et nous laissent la place libre. Ce qui est magique dans ces cascades, c’est leur environnement tropical et le fait qu’elles se succèdent … en cascade.
Nous prenons un apéro bien mérité pendant que les cinq kets s’écorchent les genoux dans les cailloux et que les moustiques font du boudin avec mon sang (feinte copyright Le Chat).
Dans mon lit en rédigeant ces notes, j’entends les cascades comme j’entendais les chutes du Niagara il y a cinq mois, et je ne peux m’empêcher de penser, avec bonheur, au chemin déjà parcouru, entre océan pacifique et montagnes rocheuses, entre topes et macadam, entre les richesses tristes d’Hollywood et la pauvreté joyeuse du Chiapas, entre les crises de nerfs et les moments câlins, entre gris clair et bleu foncé …
15 février 2015.
C’en est bien fini des nuits fraîches, le thermomètre descend péniblement jusqu’à 20 °C, climat tropical et ambiance torride nous attendent pour les prochaines semaines. Deux heures suffiront amplement à franchir les 68 kilomètres qui nous séparent de Palenque, nous évitons de justesse les cordes tendues en travers de la route par les enfants du pays, juste un jeune fou qui s’accroche au rétroviseur alors que je roule au pas. En voyageurs avisés, nous nions le camping Mayabel et lui préférons le Quiloma Ranch, bien plus calme (une fois les garçons au lit). Je repars en ville pour faire des photocopies des documents qui me seront demandés lors des prochains passages de frontières, et je m’offre une glace chez la Michoacana, comme ça en schmet, sans rien dire aux enfants qui font les fous au camping, et nous profitons encore d’agréables conversation avec Manu et Clarisse, et surtout avec une bonne cerveza rafraîchissante.
16 février 2015.
C’est en groupe que nous débarquons à l’ouverture sur le site historique de Palenque où nous arrivons en minibus. Premier site maya que nous visitons, certaines parties sont bien conservées et/ou bien restaurées, mais d’autres sont encore envahies par la végétation et révèlent la force de la nature, ici la forêt tropicale, j’ai nommé la jungle. Temple du soleil, qui pourtant n’a pas besoin d’être vénéré pour cogner, Tombeaux et chambres funéraires, Pakal en emporta plus d’un pour l’accompagner vers l’infini et l’au-delà, et même des bains de vapeur, comme si ce n’était pas encore assez moite comme ça.
De retour au camping, on organise une grande bourse d’échange (pas de panique, on se limite aux fichiers informatiques) : les infos pratiques des pays à suivre, les photos avec les deux kets et les trois garçons (non, non, ce n’est pas la même chose), des films et des séries pour occuper les soirées quand on aura plus personne à qui parler …
17 février 2015.
Capri, c’est fini nous quittons la famille Démon de Maxwell aka « Qu’est-ce que je fais-là » qui poursuit vers le Yucatan pour arriver au Guatemala par le Belize (bref, ils suivent le troupeau quoi), alors que nous, les VW, on s’élance dans l’inconnu vers un itinéraire quasi inédit, tels de véritables pionniers. En fait, on a choisi de ne pas passer au Yucatan par manque de temps (il ne nous reste que 5 semaines pour arriver à San José), ni au Belize par manque d’intérêt (et on gagne un passage de frontière), mais de se consacrer au Guatemala et au Nicaragua.
Les informations sur le passage de frontière vers le Guatemala à El Ceibo en CC n’étant pas légions, voici en détail le déroulement de notre journée, le lecteur non intéressé est invité à passer au paragraphe suivant.
1. De Palenque, bonne route jusqu’à Rio Chancala (Pemex), puis route pourrie jusqu’à Tenosique, où il est également possible d’arriver depuis Emiliano Zapata par la MEX203. On est justement en territoire rebelle zapatiste comme le revendiquent fièrement des affiches au bord de la route. Point de touriste par ici, les enfants jouent dans la poussière (tandis que les miens regardent un DVD, bonjour le choc social), les femmes se promènent en costume traditionnel et les hommes vont et viennent à cheval.
2. A Tenosique, après 90 km en deux heures, on a bien mérité une petite glace à la Michoacana (un peu le Capoue du coin), et nous voyons même passer le cortège du carnaval, c’est justement mardi gras. Dernière Pemex avant la frontière, 55 km plus loin.
3. Poste de frontière mexicain, stationer près de la sortie, au besoin, passer à la Bancerjito pour résilier l’importation temporaire (l’agent contrôle le VIN – numéro de châssis – et récupère la vignette, rien à débourser). Ensuite, passage à l’immigration pour rendre le petit papier reçu à l’entrée du pays, ne rien payer (ha, ha, il a essayé mais on ne me la fait pas) et montrer la preuve de paiement de la taxe acquittée à l’entrée du pays (une facture par passeport).
4. Arrivée sur le territoire guatémaltèque. Commence par la fumigation (on peut régler en pesos mexicains ou en dollars US). En théorie, pas de fruits et légumes et fouille du véhicule. En pratique pour nous, pas un regard, pas une question. Passage à l’immigration, agent sympa et cultivé, il me sort une citation de l’auteur Herman Hesse dont il a lu tous les livres. Rien à payer, rien à remplir. En même temps, faire tamponner (comme les passeports) les copies pour l’importation temporaire du CC (permis de conduire, certificat d’immatriculation et passeport). Possibilité de faire les copies après le poste de frontière de même que le change pour payer l’importation temporaire en quetzals. Se présenter au guichet séparé pour l’importation temporaire, payer à la banque et terminer au guichet avec le reçu.
Et voilà, rien de compliqué, si ce n’est que pendant ce temps-là, le CC est resté en plein soleil et la température à l’intérieur est montée à 36 °C. En une heure tout était réglé : sortie Mexique et entrée Guatemala. Il ne nous reste plus qu’à faire les 170 km qui nous séparent de Flores.