9 juillet 2015.
Réveil en fanfare, voilà ce qui se passe quand on bloque une bande de circulation à côté d’une école. Puis, journée d’intendance, il s’agit que le mobilhome soit propre, bien rangé et bien rempli, surtout le frigo d’ailleurs, Yas est très tatillons pour ce dernier point. Entre deux crises (oui, les kets tiennent la forme, et leurs parents aussi, je le concède), on s’offre un moment de détente en famille : séance cinéma sur le PC, zut le paquet de marshmallows est déjà vide : Catherine s’est servie en stoemelings, la petite coquine. En fin de journée, je pars à l’aéroport international Jorge Chavez pour y accueillir nos amis en bonne et due forme, avec leur nom écrit sur un carton.
L’avion a une heure de retard, merci Air France, mais ils finissent par arriver, au bout d’une longue et insoutenable attente. Tiens c’est bizarre, ils ont vraiment peu de bagages. Évidemment, une grosse valise est restée à Paris, re-merci Air France. Depuis que le Concorde a été remisé aux oubliettes, la compagnie a perdu de sa superbe. Bon, pas la peine de s’énerver là, on négocie un taxi et on s’installe à l’hôtel, histoire de discuter : on en a des choses à se raconter depuis un an qu’on ne s’est vus.
10 juillet 2015.
La bonne nouvelle du jour, c’est que la valise n’est pas perdue et même qu’elle est en cours d’acheminement. Retenons qu’elle contient notamment les slips de Yas et les plaquettes de frein du camion, son arrivée est donc capitale pour la suite du voyage (tant pour Yas que pour le camion), mais c’est cuit pour aujourd’hui, alors on prend un taxi et on retourne à la Plaza de Armas avec nos amis. Elle est encore plus belle aujourd’hui avec un rayon de soleil.
Après la minute culturelle à la galerie d’art ancien, c’est la minute sportive : les kets jouent à chasser les pigeons sur le parvis du monastère de San Francisco qui abrite près de septante mille sépultures en ses catacombes, les défunts ayant d’ailleurs de quoi s’occuper avec les vingt-cinq mille ouvrages répertoriés dans sa bibliothèque.
De retour au CC, les kets sont fatigués, ça tombe bien, ils vont au lit et nous voilà tranquilles pour l’apéro. Cependant, pour la première fois du voyage, nous sommes confrontés à un énorme souci logistique : la capacité de refroidissement du frigo ne suit pas le rythme de Yas, il va falloir faire un arbitrage entre la bière et le lait.
11 juillet 2015.
Avec l’assistance du gérant de l’hôtel qui est franchement sympa, nous comprenons que la valise et son précieux contenu sont bien arrivés hier soir à l’aéroport, mais qu’il faut patienter jusqu’en fin d’après-midi pour qu’un agent d’Air France puisse nous la remettre. L’alternative serait de partir et de faire expédier le paquet quelque part sur notre itinéraire, mais cela nous semble hasardeux, et par ailleurs Yas a vraiment envie de récupérer ses chaussettes blanches au plus vite. Pour occuper au mieux cet après-midi, nous prenons donc le Metropolitano, en fait un simple bus rapide en site propre, avec de belles façades de quai comme à Bogota, jusqu’à Miraflores, le quartier moderne et branché de Lima. Le contraste avec le reste de la mégapole est saisissant, tout est propre, calme, sécurisé, il n’y a même pas de trou dans les beaux revêtements asphaltés, et en plus, la vue sur la mer depuis le haut des falaises est magnifique.
Une heure de bus plus tard, nous voici de retour à l’hôtel, je gère les kets (la douche, la soupe, les dents, le pipi, au lit, dodo) pendant que Catherine gère Yassine, Alexandra et la valise retardataire (taxi, aéroport, petit scandale, valise, merci, adios).
12 juillet 2015.
On va enfin pouvoir quitter cette ville tentaculaire. Moi qui appréhendais de la traverser, ça sera en fait bien plus facile ce dimanche matin. D’ailleurs si vous n’avez pas l’intention de découvrir le centre historique, classé Unesco, je ne peux que vous recommander de traverser la ville en suivant la Panam un dimanche matin. Très vite, Yassine me rejoint dans la cabine de pilotage, ce qui permet à Alexandra et Catherine de continuer leurs passionnantes conversations relatives aux Tuperwares et aux techniques de cuisson des patates en altitude. Pendant ce temps, j’explique le contexte géopolitique et social du Pérou à mon ami qui enchaîne avec une diatribe sur les qualités techniques de son nouvel appareil photo. Les kets, eux sont aux anges : ils ont compris depuis longtemps que longue route signifie longs dessins animés. Et en fait de longue route, celle-ci est en excellent état et défile rapidement à travers un désert monochrome dont les seules touches de couleurs sont apportées par les peintures pré-électorales qui couvrent des murs délabrés. Nous arrivons à l’embarcadère de Paracas juste à temps pour le départ de 13h, ce qui tombe bien vu que le soleil pointe le bout de ses rayons. Ainsi, nous évitons le départ matinal habituel généralement chargé, les bateaux se suivant alors à la chaîne sous un ciel couvert. Pour nous, ça sera plus intimiste et nous voilà partis pour deux heures de balade en lancha sur une mer d’huile. Première halte devant le célèbre candélabre de 150 mètres de haut, dont l’origine est toujours incertaine.
Puis cap sur les îles Ballestas, nous croisons déjà quelques lions de mer en cours de navigation. Les yeux fermés, on sait qu’on arrive à proximité de l’archipel : ça schlingue ! Le guano qui recouvre les roches des îles était exploité et utilisé comme fertilisant dans le secteur agricole jusqu’en Angleterre. Aujourd’hui, les îles Ballestas font partie intégrante d’une réserve naturelle qui abrite des lions de mer, des manchots de Humboldt, des pélicans et une impressionnante colonie de cormorrans. Puis nous nous rendons dans la réserve de Paracas, qui propose un beau centre d’interprétation près de l’entrée. Nous empruntons la petite piste jusqu’à la Playa Roja, le bivouac classique des overlanders.
Pour Yas et Alexandra, c’est une première, l’excitation est à son comble et après avoir photographié tous les pélicans du coin, on se serre au chaud dans le motorhome pour un bon repas face à l’océan Pacifique. Puis commence une terrible partie de Tetris en 3D : il s’agit de caser tous les sacs et bagages en dehors des lits tout en conservant une voie de passage dans l’habitacle. Et voilà, bonne nuit les amis. En deux minutes, Yas ronfle déjà comme une locomotive, la nuit ne sera pas si bonne que ça, on dirait en plus qu’il y a un tremblement de terre chaque fois qu’il bouge !
13 juillet 2015.
Il fait à nouveau terne et couvert ce matin, nous ne traînons donc pas et rebroussons chemin jusqu’à Paracas puis reprenons la Panam vers Ica, capitale vinicole du pays. La route menant à la bodega Tacama est dans un tel état que nous laissons le CC sous bonne garde devant la police municipale tandis qu’une patrouille nous escorte jusqu’à l’entrée du domaine. La visite guidée est intéressante mais courte, la dégustation de fera ainsi moins attendre. Il s’agit du premier vignoble des Amériques, établi suite à l’arrivée des colons. Grand de 250 hectares, le domaine est réputé pour son malbec et son chardonnay, de même que pour le pisco, un alcool blanc assez fort.
Après cette visite intéressante et la dégustation qui la suit, nous retrouvons le CC intact et roulons jusqu’à l’oasis de Huacachina, tout proche : comme un air de Sahara en Amérique du Sud. Dominée par des dunes hautes de deux à trois cents mètres, l’oasis est devenu le repère des backpackers qui cherchent ici les sensations fortes. Dès 16h, c’est le balai des buggies qui emmènent les aventuriers au sommet des dunes pour une descente ensablée en surf.
Ça secoue pas mal et il vaut mieux avoir l’estomac bien accroché, mais le paysage est magnifique, c’est carrément incroyable de se retrouver comme en plein Sahara. Nous faisons le soir une soirée entre mecs (bières-pizzas), Alexandra étant hors service et Catherine gardant les kets.
14 juillet 2015.
A six, le frigo se vide bien plus vite. Nous passons donc dans le grand et clinquant centre commercial d’Ica avant de prendre la route, toujours aussi désertique, vers Nazca. Une vingtaine de kilomètres avant la ville, nous nous arrêtons au mirador de Maria Reiche. C’est une halte obligée pour nous vu que nous avons décidé de faire l’impasse du survol des lignes qui reste très dispendieux pour une famille de quatre et pouvant engendrer des nausées. Déjà qu’Alexis a les chocottes rien qu’en montant au sommet du mirador ! Au moins, nous y aurons vu le lézard, l’arbre, les mains et même le toit du motorhome, ce qui me fait penser qu’il est grand temps de nettoyer les panneaux solaires.
De là, Nazca n’est plus loin, nous nous y arrêtons pour nos amis qui ont décidé de s’envoyer en l’air. Nous voulons également assister au spectacle du Planétarium Maria Reiche en fin de journée. Pour ces raisons, nous cherchons un bivouac au centre-ville et ce n’est pas une mince affaire. Il nous faudra deux heures pour trouver la perle rare : un hôtel convenable dont le garage est accessible à notre véhicule et qui nous accepte. C’est ainsi que tels des précurseurs, nous nous installons à l’hôtel Las Tinajas qui accueille ainsi ses premiers overlanders. Pendant ce temps, Yas réserve un vol pour le lendemain. Vu les acrobaties que va faire le petit appareil, l’agence demande d’indiquer son poids sur le document de réservation. Mon ami est optimiste, mais on ne la fait pas au gérant qui en a vu d’autres. Ce dernier sort sa balance et le verdict tombe comme un couperet : Yas s’est sous-estimé de plus de dix pourcent (s’il fait pareil à son travail, son employeur est bon pour la faillite). En état de choc, le pauvre bougre trouvera le réconfort avec un pisco sour avant d’assister à la séance de 18h, en français, au planétarium de l’hôtel Nazca Lines.
L’exposé présente le travail d’une vie, celle de Maria Reiche qui a passé plusieurs décennies à arpenter les mystérieuses lignes pour en déchiffrer l’essence et les sens. Même aujourd’hui, il n’y a que très peu de certitudes : ces lignes et dessins ont été tracées par la civilisation Nazca sur une période de mille ans, elles ont un lien avec les astres et avec l’eau, ou en l’occurrence avec l’absence d’eau vu qu’elles se situent dans un désert où il ne pleut qu’une demi-heure par an. Après cette passionnante séance, nous bénéficions d’une initiation à l’observation des étoiles et admirons même l’anneau de Saturne à l’aide d’un puissant télescope, il ne nous reste plus qu’à aller dormir, la tête dans les étoiles.
15 juillet 2015.
Nos amis sont partis tôt pour leur petit tour en avion, nous gérons logistique et intendance jusqu’à leur retour, puis nous nous lançons à l’assaut du bitume.
Près de 640 kilomètres nous séparent de Cuzco, notre objectif. On sait qu’on n’y arrivera pas aujourd’hui, mais on ne sait pas encore ce qui nous attend : une route superbe (la PE30A), une montée en douceur à plus de quatre mille mètres et des guanacos, certes, mais aussi des travaux d’asphaltage pendant lesquels la voirie est fermée près d’une heure, à deux reprises. Si ça nous laisse le temps de manger, ça ne nous laisse pas beaucoup de temps pour rouler. Partis à 10h, nous décidons de nous arrêter à 16h, dans la petite ville de Puquio où nous trouvons un hôtel avec grand garage, et nous sommes encore à 3.200 m d’altitude, venant de Nazca à moins de 600 m d’altitude. Au risque de m’attirer le courroux de mon ami, je décrète unilatéralement qu’il n’aura pas d’alcool aujourd’hui, même pas une bière. Il l’a mauvaise, mais de son plein gré, il se refuse même une cigarette (hé oui, ce gars a tous les vices), conscient des désagréments causés par le mal des hauteurs.
16 juillet 2015.
Super, c’était apparemment le carnaval cette nuit, au moins il y en a qui se sont bien amusés. Encore une sacrée journée de route qui s’annonce, quelques cols dont un à 4.546 m, des travaux, des lamas, et des DVD pour les kets qui ont bien tort de se priver du spectacle offert par ces paysages de montagne. Yas quant à lui en profite pleinement, il mitraille non-stop, jusqu’au moindre petit lama le long de la route. En une semaine, il a déjà rempli une carte de 64 Gb ! Nous nous arrêtons à la tombée de la nuit à Curahuasi, à seulement 2.670 m d’altitude.
17 juillet 2015.
Cette fois c’est la bonne, il ne reste qu’une centaine de kilomètres avant Cuzco. La route, entre-temps la PE3S est toujours en aussi bon état, sauf quelques passages cabossés imprévisibles, et qui me rappellent à chaque fois pourquoi il ne faut pas rouler de nuit en ces contrées sauvages. Nous longeons un rio au fond d’un canyon encaissé, puis remontons sur l’Altiplano qui mène à Cuzco. Arrivant du Nord, l’accès au bivouac, le camping Quinta Lala, le repère des overlanders sur les hauteurs de la ville, est loin d’être aisé, surtout depuis que la magnifique place des Armes est fermée au trafic. Passé les difficultés d’accès, nous retrouvons les Castagna déjà installés, c’est sans doute la dernière fois qu’on les voit en Amérique vu qu’ils se dirigent vers Montevideo pour le retour au bercail. Le camping étant assez éloigné du centre historique, j’accompagne Yas et Alex qui optent pour un hôtel à quelques volées de marches de la Plaza de Armas. Je les retrouve en fin d’après-midi pour réserver notre transport jusqu’à Aguas Calientes, aka Macchu Picchu village. Il est possible de s’en rapprocher en camping-car, mais franchement, le nôtre a déjà bien assez donné ces derniers jours, et moi aussi d’ailleurs. Le centre historique grouille de monde, essentiellement des touristes. Si les bâtiments coloniaux sont toujours aussi beaux, je ne retrouve pas ce cachet original qui nous avait tant plus il y a onze ans avec Jon. Difficile de trouver un bistrot sympa pour boire une pinte entre le MacDo, le KFC et le Starbucks. Je remonte ensuite au CC, perché là-haut près des ruines de Sacsayhuaman.
18 juillet 2015.
Après quatre jours passés sur la route, les kets sont heureux de se défouler dans le jardin du camping, ils s’occupent seuls ou vont causer avec les autres voyageurs francophones comme Alain et Sylviane, des retraités français qui voyagent en T5 aménagé. Difficile de motiver les fils de ma femme pour aller visiter la ville, nous ne descendrons qu’en début d’après-midi. Pendant ce temps, Yassine et Alexandra font une journée marathon d’exploration dans la vallée sacrée, nous n’avons pas voulu imposer ça aux kets, déjà qu’ils vont devoir se coltiner le Machu Picchu. Pour être honnête, ce n’est pas la grande forme chez les VW en ce moment. On a beaucoup roulé ces derniers temps, passé trop de mauvaises nuits et manqué de complicité avec nos gamins. Alors oui, la place des Armes est magnifique, avec ses maisons coloniales aux balcons en bois, mais le flux incroyable de touristes, dont bien entendu nous faisons partie, gâche un peu le tableau. Ce n’est pas ça qui va nous remonter le moral. On s’offre alors une heure de massage, les kets sagement installés devant un dessin animé. Emi s’occupe ainsi de moi pendant soixante minutes, dénoue les nœuds accumulés dans mon dos, détend ma nuque, me masse à l’huile et aux pierres chaudes, passe aussi par mes pieds, mes mollets et mes cuisses, mais c’est bien là que s’arrête ma relation tarifée avec cette professionnelle de talent. Catherine a droit au même traitement et en ressort épanouie, du moins jusqu’à la prochaine crise de nerf ! Nous profitons encore un peu des belles couleurs hivernales de cette fin de journée sur la Plaza de Armas, savourons une délicieuse couque suisse dans la boulangerie parisienne de Cuzco (hé oui) puis remontons en taxi jusqu’au camping.
19 juillet 2015.
Réveil matinal car nous avons rendez-vous à l’hôtel de Yas et Alex avec l’agence locale pour prendre un minibus jusqu’à Hydroelectrica. Si beaucoup de familles décident d’imposer ce rude trajet à leur véhicule, je m’en passe bien et notre motorhome également. La route est magnifique et offre des vues sur les montagnes enneigées les plus hautes de la région, dont le Nevado Salkantay. Le passage d’Ollantaytambo est plus chaotique, mais passable en CC classique. A part ce morceau de deux kilomètres, la route est asphaltée de Cuzco à Santa Maria. De là part la mauvaise piste jusqu’à Santa Teresa, soit 25 kilomètres environ. C’est vraiment magnifique mais ça serait vraiment mauvais pour notre Mobilvetta, même le minibus se choppe quelques gros cailloux, sans parler des passages à gué dans lesquels on ne voit pas où passent les roues. Pas de regret donc et grand soulagement même de ne pas avoir pris cette piste à flanc de montagne où on devrait en plus croiser des gros camions avec le CC. Par contre, c’est incroyable d’arriver, après une telle route (enfin, piste) à Santa Teresa, un charmant petit village où nous prenons le pique-nique roboratif préparé par ma douce. Puis c’est reparti pour 10 kilomètres encore plus pourris jusqu’à Hydroelectrica, le bout du bout de la piste, le point le plus proche du Macchu Picchu accessible en véhicule, si l’on omet le train qui parcourt les 13 derniers kilomètres jusqu’à Aguas Calientes, le piège à touriste sis au pied du MP, seulement accessible en train ou à pieds. Vu les tarifs prohibitifs du train pour cette courte distance, nous prenons l’option de la couvrir en marchant, la bière n’en sera que plus savoureuse à destination.
Impossible de se perdre : il n’y a qu’à suivre les rails du train, que d’ailleurs nous avons bien fait de ne pas attendre : nous arrivons en même temps que lui au village, après 2h35 de marche, et oui on est bien fiers de nos kets qui l’ont fait sans broncher et quasi sans pause. Nous, ça nous a fait du bien de se dérouiller les jambes. Il ne reste plus qu’à trouver deux chambres d’hôtel, ça ne sera pas une mince affaire vu la cohue dans le bled, mais je dénicherai la perle rare après avoir consulté la moitié des hôtels de la ville. Je suis une fois de plus impressionné par l’évolution des lieux, j’ai grand peine à reconnaître le petit village poussiéreux que j’avais connu à l’époque avec Jon.
20 juillet 2015.
Afin de profiter au mieux des ruines et pour me garder un peu de jus avant l’ascension ardue du Wayna Picchu, nous montons en bus sur le site classé Unesco depuis 1983 et y rejoignons à 8h30 Yas et Alex qui étaient bien plus motivés que nous pour assister au lever du soleil. Nous avons préféré reprendre des forces pour tenir toute la journée, et nous avons bien fait, les couleurs hivernales sont encore douces et agréables à notre arrivée. Le site, lui au moins, n’a pas changé en onze ans. Il est juste encore plus fréquenté. Construite au XVème siècle par les Incas, cette citadelle aurait été conçue par Pachacútec, le roi à l’origine de l’extension militaire de l’empire. Nous montons d’emblée sur les terrasses proches de la Maison du Gardien du Rocher Funéraire, pour une vue panoramique sur le site.
Puis nous rallions ensemble le check point du Wayna Picchu qui domine tout le site, trois cent mètres plus haut, Catherine gardera les garçons pendant que je ferai l’ascension, talonné par Yas et Alex. Le sentier étant escarpé et étroit, je me faufile pour être le premier à passer la barrière au lâcher de 10h (le premier groupe de 200 passe à 7h), ça sera toujours ça de boulets en moins à remonter ! J’arrive ainsi en moins de trente minutes au sommet, la vue y est splendide. L’intérêt de monter rapidement est que je peux profiter seul du panorama, loin de l’agitation du site (c’est la haute saison et ça se ressent, en théorie, seules 2.500 entrées au Machu Picchu et 400 au Wayna Picchu sont disponibles chaque jour, mais ces chiffres sont manifestement extensibles en haute saison afin de faire face à la demande croissante) et surtout, ça me laisse le temps de faire la boucle complète jusqu’au Temple de la Lune et à la Caverne, très reculés et difficiles d’accès par un sentier escarpé qui monte et qui descend et qui remonte et qui redescend.
Il n’y a plus aucun touriste (sauf bibi évidemment) et j’ai ainsi l’impression de rejoindre la grande famille des explorateurs, tel Herman Göhring, l’ingénieur allemand qui cartographia une partie du site en 1874, tel Hiram Bingham, le professeur américain qui entreprit et dirigea les fouilles dès 1911, tel Indiana Jones, qui a fait rêver des générations de kets … Le retour est assez ardu mais je retrouve mes amis avant la sortie, histoire de prendre encore le temps de faire le petit détour par Huchuypicchu, le petit promontoire qui domine la partie principale du site. Il est à présent temps de retrouver les miens, qui ont déjà sympathisé avec quelques lamas, et nous visitons ensemble le Groupe des Trois Portes, le Temple du Condor et celui du Soleil.
C’est dans ces quartiers qu’on voit également des vestiges du réseau de canalisation du site. Catherine et les garçons ont déjà bien donné, je les quitte devant le secteur agricole Est : une impressionnante série de terrasse (mais pas une pour boire un godet). Ils rentreront en bus tandis que j’assisterai au coucher du soleil, ou presque vu qu’on est mis à la porte à 16h40. Il ne me reste plus qu’à descendre à pieds pour rejoindre ma petite famille au pueblo, exténué mais enchanté de cette visite. Yas et Alex arrivent une demi-heure après (ces feignasses ont pris le bus) et nous allons souper ensemble.
21 juillet 2015.
En ce jour de fête nationale (le Roi, la Loi, la Liberté), nous prenons le chemin du retour, ou plutôt la voie du retour vu que nous longeons le chemin de fer. Très vite, nous perdons Yas et Alex qui se prennent de passion pour les papillons, et ce n’est pas ça qui manque ici, le Pérou étant le pays en possédant la plus grande variété.
Nous les retrouvons (nos amis, pas les papillons) au terminus du chemin de fer, à la station Hydroelectrica, dans un incroyable capharnaüm de minibus, de touristes et de guides-accompagnateurs tentant de remplir les bus, si bien qu’après un moment on se retrouve dans un minibus plus confortable qu’à l’aller, ils n’ont même pas vérifié le voucher, mais on s’en tape pas mal, ce qui compte c’est d’arriver à Cuzco tous ensemble. Le chauffeur nous gratifie de sa belle musique folklorique à fond les manettes et c’est sur le même tempo qu’il nous balance sur les 35 kilomètres de piste rugueuse jusqu’à Santa Maria. Il a manifestement très envie de rentrer au bercail et ça tombe bien, nous aussi, même si nous ne nous lassons pas de ces paysages magnifiques. Magnifique aussi l’accueil dans le motorhome : 12 °C et ça descendra à 5 °C pendant la nuit.
22 juillet 2015.
Dernière visite avant de quitter Cuzco et la vallée sacrée : les salines de Maras. Autant se laisser conduire, c’est en taxi que nous ferons l’excursion. Notre chauffeur a une bonne bouille et le regard vitreux comme ceux qui consomment beaucoup de coca. Si la feuille prise en infusion reste relativement inoffensive, les plus accros passent leur temps à la mastiquer pour bénéficier de plus d’effet. L’avantage du taxi par rapport au tour organisé, c’est qu’on peut lui demander de s’arrêter plus souvent pour les photos. Aussi, nous auront droit à deux miradors avec artisanat et tout le tralala avant d’arriver au clou de la journée : les Salinas.
Taillés à même le flanc d’une quebrada, des centaines, si pas des milliers, de bassins récoltent l’eau très salée d’un petit rio. Le soleil, très généreux en ces contrées, fait son travail et assèche les bassins. Les courageuses petites mains n’ont plus qu’à le récolter. Si une petite partie de la production est destinée aux touristes, la majeure partie est destinée au bétail. Tiens, ça sonne bizarre « touristes » et « bétail » dans la même phrase. En tout cas, c’est franchement magnifique, et si on peut dire que la visite ne manque pas de sel, heureusement la note n’est pas trop salée (purée je tiens la forme là).
Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons au Balcon del Inca, sur les hauteurs de Chinchero. La vue sur les ruines, encore une série de terrasses aux pierres bien ajustées est imprenable et l’exposé sur les métiers locaux de la laine est immanquable, au moins on est sûr que ce n’est pas Made in China. Encore un coup d’œil au panorama puis nous rentrons au camping. En prévision de la longue route du lendemain, nous sortons déjà le CC du camping pour la nuit, ce n’est pas évident mais ça passe en douceur.
23 juillet 2015.
Je démarre le moteur à 7h, il ronronnera jusqu’à 21h. Entre-temps, un bloqueo (des manifestants qui occupent la voirie), un col à 4.807 m et l’Altiplano à 4.400 m, 420 kilomètres de parcourus, dont 120 sur de la piste bien stabilisée, juste gâchée par les casses-vitesse, des travaux et cerise sur le gâteau, un pneu déchiré qu’on devra changer demain matin avant de partir. Bivouac près d’un mirador de la réserve Salinas y Aguada Blanca en bord de route. Suis claqué.
24 juillet 2015.
Alex et Yas voulaient du bivouac, ils ont bien été servis cette nuit. S’il a gelé dehors, sur ce haut-plateau andin à 4.400 m d’altitude, la chaleur humaine à maintenu la température juste au-dessus de zéro dans le CC. Par contre, l’altitude a dû ménager son petit effet, Yas m’avouera même avoir eu la barre toute la nuit, le mal de crâne est tenace sur l’Altiplano. Après cette bonne nuit bien reposante, il ne nous reste plus qu’à changer cette foutue roue. A la lueur du jour et réchauffés par le soleil, nous ne comprenons pas comment, vu son état, le pneu n’a pas éclaté sur la quinzaine de kilomètres pour arriver jusqu’ici. Récupérer une roue de secours logée à l’arrière sous le CC n’est déjà pas une mince affaire, et desserrer les six boulons vissés au pistolet pneumatique à Huaraz se révèle être carrément impossible, mon outillage est trop léger. Nous repartons alors jusqu’au prochain hameau où, chance inouïe, le multi-servicio du coin possède le bon embout et une énorme barre à mine pour faire levier. Je le remercie chaleureusement et lui demande d’y aller mollo en resserrant les boulons …
Il ne nous reste plus qu’à arriver à Arequipa, en suivant la bonne route (enfin plus de piste en vue) qui traverse l’Altiplano dominé par le volcan Misti, puis redescend vers les faubourgs de la deuxième ville du pays. Conduire le bac en milieu urbain créé systématiquement des tensions, et c’est donc à chaque fois l’occasion pour les kets de nous simplifier la tâche en y ajoutant leurs caprices. Mais nous avions bien préparé le coup et arrivons facilement à l’hôtel Las Mercedes qui possède une zone de camping pour nous et une belle chambre pour nos amis. La Plaza de Armas est toujours aussi vaste et bordée de longues galeries à arcades, avec des bancs à l’ombre des palmiers et beaucoup moins de touristes qu’à Cuzco. A « seulement » 2.340 m, le climat est assez doux le jour et frais la nuit. Parfait, on va un peu se reposer ici. Je sors le vélo pour le plus grand bonheur des kets et le ballon pour le plus grand bonheur des rosiers. Nous prenons le soir un bon apéro dans le salon confortable de l’hôtel.
25 juillet 2015.
Nous prenons notre temps ce matin, Skype avec la famille et organisation des prochains jours. Yas et Alex veulent voir et visiter un maximum, tandis que nous préférons retrouver un rythme plus relax. Ils iront donc seuls en tour organisé jusqu’au Canyon de Colca et son mirador del Condor, puis je les accompagnerai en bus jusqu’à Puno pour une excursion sur le lac Titicaca d’où ils reprendront l’avion. Princesse restera à Arequipa à l’hôtel-camping avec les garçons, le temps de récupérer un peu et on poursuivra en famille, en profitant au mieux de chaque site.
Aussi, j’espère toujours trouver des pneus de la bonne dimension avant de reprendre la route avec le CC, ou au moins trouver les outils pour débloquer la dernière roue de secours qui est malheureusement déjà bien entamée. Rien de folichon donc pour aujourd’hui, j’écume les llanterias et les ferreterias à la recherche de pneumatiques et d’outils ad hoc. La journée se termine en beauté dans le salon de l’hôtel : Yas présente sa vision du monde et de la société, qui est bien loin des standards privilégiés par Alexandra et Catherine qui sont tour à tour médusées, révoltées et courroucées. S’en suivent de mémorables joutes verbales que je ponctue ci et là d’un brin d’humour tandis que je recherche le meilleur moyen de relier San Pedro de Atacama au Chili depuis le nord de l’Argentine, ça sera par le Paso de Jama.
26 juillet 2015.
Nos amis sont partis cette nuit pour une excursion au Canyon de Colca et en profiteront pour opérer la reconnaissance de l’état des routes pour nous. Pendant ce temps, les kets s’en donnent à cœur joie dans le jardin de l’hôtel. Pour nous, c’est une journée de repos. J’irai tout de même profiter du centre historique, peu fréquenté le dimanche.
27 juillet 2015.
Le camping se remplit petit à petit, il y a même un petit garçon de trois ans pour jouer avec nos kets et leur apprendre le brésilien ! Yas et Alex partent en goguette, nous les retrouvons près de la Plaza de Armas après un bon almuerzo ejectivo bien arrosé d’Inca Kola, comme il se doit.
Puis nous flânons dans les petites rues en passant par la belle église de San Francisco et poursuivant jusqu’au Mirador de Yanahuara, hyper touristique mais bien joli, avec son église San Juan Bautista, ses arcades marquées de citations d’écrivains célèbres, tel Alberto Ballon Landa (OK, j’avoue : j’connais pas). Les kets, eux, n’ont qu’une idée en tête : rentrer au camping et y retrouver Gaetano pour faire un atelier des artistes. Mais, très disciplinés, ils acceptent de manger une glace d’abord.
28 juillet 2015.
C’est donc aujourd’hui la croisée des chemins : j’accompagne nos amis jusqu’à Puno au bord du lac Titicaca qu’ils visiteront en tour organisé avant de prendre l’avion à Juliaca. C’est ainsi après un excellent « saucisses-compote-purée » préparé par Catherine que, pour la première fois en 336 jours, je quitte les miens pour une nuit. J’avoue que je n’en mène pas large. Cet épisode aura au moins le mérite de nous rappeler la chance que nous avons (et surtout que nous avons su créer et saisir) d’être toujours ensemble depuis des mois et des mois. Après les avoir serré très, très, très fort dans mes bras, je m’engouffre la gorge serrée dans le bus qui nous mène rapidement hors de la ville et, non, je ne veux pas de mouchoir (j’en ai déjà). Nous remontons par la même route qu’à l’arrivée puis bifurquons vers Juliaca et enfin Puno, où nous arrivons de nuit, dans le froid. Je passe ainsi une dernière soirée avec Yas et Alex. Dans sa grande bonté, cette dernière nous donnera même la permission de minuit, ce dont nous n’abuserons pas, malgré l’insistance de mon comparse.
29 juillet 2015.
Mes amis se sont levés tôt ce matin pour leur excursion vers les îles flottantes Uros et l’île Taquille qui trônent sur le lac. Je ne les reverrai donc qu’en Belgique l’été prochain. Je fais un tour de reconnaissance dans la ville, histoire de préparer notre passage d’ici peu, puis je prends un bus de ligne, en direction d’Arequipa et des miens qui me manquent déjà. Le parcours est connu, déjà la troisième fois que je passe par là, mais les paysages sont toujours aussi agréables. Le trajet de retour de passe donc très bien, pour une fois, les gamins qui braillent ne sont pas les miens, ce qui m’autorise à leur lancer un regard réprobateur. Presque ponctuel, le bus nous dépose à la gare routière peu avant 17h, plus que dix minutes de collectivo et me voilà auprès des miens, juste à temps pour la douche, la soupe et la petite histoire dans « le grand livre que Saint-Nicolas a apporté ». Je retrouve aussi mon lit en capucine avec plaisir, il n’est pas plus grand que celui de l’hôtel à Puno, mais au moins il y a ma tendre épouse dedans.
30 juillet 2015.
Nous reprenons enfin le fil de nos visites. Après un almuerzo copieux, nous passons par la Plaza de Armas, mais la basilique est fermée, ça sera pour demain. Direction la Casa Tristan del Pozo, son porche bien ouvragé et ses deux patios construits en 1738. Nous empruntons ensuite le passage piétonnier derrière la cathédrale, véritable repère à touristes et arrivons à la Casa Moral qui, outre son architecture typique, présente du mobilier d’époque et un accès sur son toit. Il y a également une salle numismatique avec une collection de billets émis par des sociétés privées, style grosses haciendas, contraignant le personnel à dépenser les « deniers » durement gagnés en leur sein. Avant de rentrer au camping, nous nous arrêtons au musée archéologique de la cité qui expose d’impressionnantes momies, quelques poteries et tissus préhispaniques.
31 juillet 2015.
Aujourd’hui c’est un grand jour. Nous allons enfin visiter le couvent de Santa Catalina. Une fois n’est pas coutume, on s’offre les services d’un guide, en français s’il vous plaît. Alexis pourra poser toutes les questions qu’il voudra. Établi en 1579, il s’étend sur plus de vingt mille mètres carrés (à peine moins qu’Ikea à Anderlecht), le monastère est une ville dans la ville, avec ses rues et ses maisons particulières. Car pour vivre recluses et consacrer leur vie à la dévotion, les nonnes versaient une solide dot, ce qui leur donnait droit à un logement privatif, des servantes et même des instruments de musique. Plusieurs réformes ont mis un terme à ces petits privilèges pour favoriser la vie en communauté et la disparition de la dot, les ressources du monastère étant à présent issues du tourisme depuis 1970 et suite aux différents tremblement de terre et explosions volcaniques qui ont endommagé les édifices.
Après la visite guidée, je mitraille tous azimuts, les lieux m’invitant plus à la photographie qu’à la méditation. Nous nous arrêtons dans un petit resto veggie pour l’almuerzo. Sympa, la dueña habite régulièrement à Bruxelles. Nous rentrons au camping en faisant le détour par le marché local, et c’est là qu’on se félicite de ne pas avoir mangé de la viande à midi. Surprise, les Daniel sont arrivés dans la matinée, la dernière fois qu’on les avait croisés, c’était au Parque La Carolina à Quito il y a presque deux mois ! Nous passons la soirée en leur agréable compagnie.
1er août 2015.
Il ne nous manque que la visite de l’église de la Compaña pour avoir fait le tour des incontournables de la ville, c’est donc au programme de la matinée. Avec ses horaires d’ouvertures aléatoires, nous ne sommes sûrs de rien et nous tentons le coup vers onze heure. Bingo, c’est ouvert, de même que la chapelle San Ignacio, étonnant mélange coloré des classiques catholiques combinés avec les références indiennes.
C’était la manière pour les évangélistes d’imposer en douceur leur religion. Personne n’ayant été malade, nous retournons au resto végétarien d’hier avant de lâcher les fauves dans le jardin de l’hôtel-camping, histoire de les achever pour avoir une soirée cool avec les Daniel. Pour la première fois du voyage, nous passons plus d’une semaine au même endroit et nous avons vraiment du mal à décoller, surtout qu’on sait ce qui nous attend : le froid de l’Altiplano bolivien.