14 juillet 2018.
Nous franchissons la rivière Narva sur le pont qui nous ramène en Europe (communautaire), à la fois avec tristesse et soulagement. Tristesse car cela sonne l’entame du chemin du retour, chaque kilomètre parcouru nous rapprochera de notre domicile et nous éloignera de la partie la plus intense de notre périple. Soulagement parce que nous avons franchi avec succès les difficultés liées à notre parcours, tant administratives que routières, et qu’il n’y a à présent – a priori – plus de réelle difficulté à franchir si ce n’est celle de l’inéluctable retour. Mais notre voyage n’est pas fini pour l’instant. Une fois la barrière estonienne ouverte, nous dépassons le château de Hermann, édifié par les Danois, qui fait face à celui d’Ivangorod, côté russe, et qui témoigne d’une époque à laquelle la politique internationale évoluait au rythme des pigeons voyageurs. C’est la même chose de nos jours, mais les gazouillis de Twitter ont remplacé les pigeons. Quoique. Pour l’heure, pas de visite, nous partons à la recherche du premier poste de télévision qui diffuse la fin match en cours, la petite finale de la coupe du monde, et nous finissons au rayon « écrans plats » d’un vaste magasin d’électro.
Après la victoire de nos champions, nous trouvons une place à l’ombre près d’une école, au calme si ce n’est que des mouettes s’invitent sur le toit du CC à l’aube, c’est à dire vers 4h30, les nuits sont très courtes par ici.
15 juillet 2018.
Toute la famille est d’accord sur le programme des prochains jours : repos, détente et farniente. Nous prenons la direction d’un hôtel-camping proche, avec piscine et tout le confort, au bord d’un lac. Ce sont surtout les kets qui en profitent tandis que leurs infatiguables parents vaquent aux habituelles tâches ménagères et logistiques.
16 juillet 2018.
Bonne petite journée : mise à jour du site, un peu d’école par principe et beaucoup de jeux pour le plaisir. Quelques équipages débarquent dans des véhicules rutilants, mais c’est à peine s’ils nous accordent un regard, il est vrai qu’ici, nous ne sommes plus des « overlanders », ces intrépides voyageurs qui suscitent l’admiration des vacanciers en groupe organisé et l’émerveillement des populations locales, mais de simples touristes en goguette.
17 juillet 2018.
Nous pensions partir en fin de matinée, mais l’attraction de la piscine est trop forte, d’autant plus qu’il fait chaud, incroyablement chaud, nous restons encore une journée : une vague de chaleur souffle sur l’Estonie. Notre séjour sportif n’en souffre pas pour autant, après le badminton, Valentin s’initie aux joies du tennis de table, bien qu’à notre niveau, cela soit plutôt du ping-pong.
18 juillet 2018.
La température ne cesse de grimper, et dépasse les 30 °C, qui l’eût cru, l’eusses-tu cru ? Pire, il n’y a pas un souffle de vent et les taons sont de plus en plus agressifs. Nous pensons qu’il est temps de se bouger et prenons la direction du littoral où nous espérons trouver plus d’air et moins d’insectes nuisibles. Nous échouons à la marina de Vergi, après avoir traversé les forêts d’épicéas du parc national Lahemaa, qui couvre 725 km2.
Les kets sont contents de faire joujou dans le sable de la mer Baltique (en fait toujours le Golfe de Finlande, nous sommes plus ou moins en face d’Helsinki), pendant que je raconte notre périple à un sympathique couple de retraités Néerlandais, épatés de rencontrer des overlanders, des vrais …
19 juillet 2018.
Catherine se met tôt aux fourneaux, elle a du retard à rattraper, tandis que je révise les leçons de néerlandais avec les kets histoire de faire causette avec nos voisins.
Nous partons en début d’après-midi pour traverser le parc national d’Est en Ouest, après avoir visité le Manoir de Sagadi, édifié en 1753. Le manoir est vaste et dispose de plusieurs salons et salles à manger, les rares visiteurs en ces contrées perdues au milieu des forêts étaient reçus comme des rois en ces temps-là, et son petit musée de la forêt nous a réservé le même accueil.
Nous terminons sur le « campground » de la baie de Tsitre, à quelques mètres de la mer. C’est vraiment joli mais il est difficile d’en profiter pleinement : la moindre sortie est sévèrement sanctionnée par des escadrons de taons prêts au sacrifice ultime pour nous tirer un peu de sang. C’est donc par pur altruisme que nous décidons d’entamer une bouteille de vin blanc, la première de notre sobre voyage.
20 juillet 2018.
La pluie matinale amène un peu de fraîcheur et calme les ardeurs voraces des taons, mais pas pour longtemps. L’unique promenade du jour avec les kets se termine sous leurs attaques ciblées. J’en dégomme quelques-uns au passage (des taons, hein, pas des kets) sur le chemin du retour, au pas de course.
Nous avons quand même eu le temps de monter à la tour d’observation qui offre, outre un joli panorama, la possibilité d’apercevoir de beaux oiseaux, pour ceux qui savent attendre en silence. Bref, je remonterai seul plus tard. Nous observons également les roches erratiques déposées ci et là par l’activité glacière, et trouvons une stèle isolée dans les sombres ténèbres de cette forêt primaire.
21 juillet 2018.
C’est en ce samedi de fête nationale belge que nous quittons cette côte sauvage où nous avons communié avec la nature, et surtout avec les moustiques et les taons, pour retrouver le monde moderne, quoi que très médiéval, de la capitale estonienne. Le soleil est toujours au rendez-vous, nous prenons une pizza chez Vapiano (salut les Duduexpress), puis partons à l’assaut du parcours santé de 4 km dans la vieille ville fortifiée. Nous commençons par Toompea, la partie haute perchée sur une petite colline où siégeait à l’époque la noblesse, remplacée de nos jours par les ambassades.
Traversant les remparts et arpentant les ruelles pavées, nous accédons à la ville basse, dont le vulgum pecus a cédé sa place aux groupes de touristes qui fréquentent des bistros et autres galeries branchées. Fourbus par cette longue promenade dans les ruelles encombrées (le port accueille quatre paquebots de croisière en ce moment), Valentin est le seul à se dévouer pour m’accompagner à la corvée de l’eau potable (fontaine près de la porte de Viru) et mérite ainsi l’exclusivité de la balançoire du quartier Rotermann, alliant de vieux entrepôts aux constructions les plus modernes.
22 juillet 2018.
Lors de notre visite d’hier, nous avons repéré quelques musées dignes d’accueillir les VW. Tel est le cas du « Kiek in de kök », la plus grande tour médiévale d’artillerie des Pays Baltes, édifiée en 1483, qui présente le développement militaire de la place forte, y compris la salle des tortures – non, Valentin, ce n’était pas une table de massage – et les armes les plus sophistiquées de l’époque, telles les terribles PPD 40 et PPS 43 soviétiques.
Une exposition temporaire présente également la gestion de l’eau potable dans la ville, et illustre que l’installation des compteurs individuels de passage en 1931 répondait plus à une nécessité d’économie de la ressource qu’à des desseins financiers. C’est clair qu’il suffit souvent d’un incitant quelconque pour réveiller la bonne conscience naturelle de l’Homme. La promenade sur les remparts permet non seulement d’apprécier la vue sur la vieille ville, mais aussi d’imaginer le chemin de ronde des soldats qui pouvaient faire le tour de la ville sur son tout périmètre de 36 tours dont seule la moitié subsiste de nos jours.
Après avoir mangé midi – queue de saumon, pommes vapeur, salade d’été – nous nous rendons dans le quartier underground du musée estonien d’art contemporain, pour une expérience sensorielle déroutante : assourdis par la musique techno, je crois – j’espère – que les kets n’ont pas remarqué la verge dissimulée dans un flux incessant d’images parfois psychédéliques.
Nous sortons de là interpellés et perplexes, mais n’est-ce pas là une des vocations de l’Art, pour aller flâner encore un peu dans les petites rues de la vieille ville jusqu’à Raekoja, la magnifique place bordée de bâtisses historiques, mais pas plus grande que notre Grand-Place à nous, avant d’aller regarder les gros bateaux de la marina à côté du bivouac.
23 juillet 2018.
Journée relax, Nous avions prévu la visite du musée Nuku – évitons les jeux de mots triviaux – qui est fermé ce matin, nous nous promenons alors longuement en ville, et retournons sur les points de vue de la ville haute, Toompea.
24 juillet 2018.
Cette fois, c’est la bonne, le musée Nuku, ou musée des marionnettes, nous ouvre ses portes. Du point de vue des parents, c’est une petite déception, la muséographie est un petit peu décousue, on sent bien que … personne ne tire les ficelles, mais nous relevons que les premières poupées pouvant être considérées comme des marionnettes trouvent leurs origines en Asie Centrale, les kets ne manquent d’ailleurs pas de mentionner l’atelier de marionnettes que nous avions visité à Boukhara.
Par contre, du point de vue des kets, c’est génial, ils peuvent toucher à tout et s’essayer aux spectacles de Toone, si bien qu’après astronaute, explorateur et archéologue, Alexis veut devenir marionnettiste. Mais dis-moi tout, marionnettiste, … Bon, la ville, nous l’avons visitée jusque dans ses moindres recoins – sauf les night clubs, faut pas pousser – et les trois nuitées sur un parking urbain nous ont bien fatigués, il nous faut du calme et de la nature, direction l’île de Muhu, où nous arrivons en ferry, pour une traversée rapide sur une mer Baltique d’huile. Nous passons la nuit près du musée en plein air de Koguva, à côté d’un équipage suisse-allemand très sympathique.
25 juillet 2018.
Juhan Smuul, le célèbre président de l’Union des écrivains de la République Socialiste Soviétique, et lauréat des Prix Staline, en 1952, et Lénine, en 1961, aurait-il pu imaginer un jour que sa ferme natale serait transformée en un passionnant musée reflétant la rude vie de l’époque sur son île fétiche, Muhu, qui a vu sa population décroître de manière significative au court des décennies qui ont suivi son trépas ? Pfft, après une intro pareille, j’ai droit à une pause !
Koguva est un charmant petit village dont certaines maisons sont privées et d’autres converties en musée, ici la chambre de l’auteur, là une exposition qui illustre que le smartphone a remplacé beaucoup (trop ?) d’accessoires, puis là-bas l’étable et le cellier et enfin la chambre où les jeunes filles recevaient les garçons durant les chaudes nuits d’été. Vivement que le soleil tombe ce soir, O tempora, O mores …
En fin de journée notre bivouac tranquille sur le parking du musée se transforme en camping : quatre véhicules nous ont rejoints, dont un énorme Carthago qui n’a rien trouvé de mieux que de nous coller alors que le camping – oups, le parking – était encore vide.
26 juillet 2018.
Notre voisin allemand est fier de son gros camping-car intégral et nous l’a fait savoir jusqu’à passé minuit : une antenne parabolique automatique, une porte blindée et de nombreuses trappes. Nous partons comme il est arrivé : sans se saluer. Le Coop du bled voisin nous permet de réachalander le frigo avant d’emprunter la digue de 2,5 km pour quitter Muhu et joindre Saarema, la plus grande des îles estoniennes. Nous allons nous la jouer cool et jetons l’ancre à la marina de Koiguste – forcément – où il y a pourtant plus de motorhomes que de bateaux. Le camping s’étale sur un isthme qui s’avance dans un petit golfe de la mer Baltique. Je m’attendais à quelque chose de très beau, c’est carrément magnifique, j’ai bien fait de prévoir du stock, surtout que le frigo est branché, m’est avis qu’on va se poser.
27 juillet 2018.
Jamais vous n’auriez crû que les VW iraient de baigner dans la Mer Baltique, eux non plus d’ailleurs. Et le comble, c’est que nous y retournons, elle est étonnamment chaude, bien plus que notre Mer du Nord, alors qu’avec moins 25 °C cet hiver, les voitures roulaient sur une couche de glace de plus d’un demi-mètre ! De mémoire du Capitaine du port de Koiguste, jamais un été n’a été aussi chaud aussi longtemps par ici.
28 juillet 2018.
Aujourd’hui, mon épouse m’a taillé une bonne petite coupe de cheveux. Ils étaient trop longs, et ceux d’Alexis aussi. Nous nous sommes rincés dans la mer en sautant depuis les pontons et nous avons regardé partir et arriver les bateaux de plaisance, ça fait rêver aussi. Vraiment.
29 juillet 2018.
Petit à petit, le camping se vide, nous suivons le mouvement et prenons la direction de Kuressaare, où trône un authentique château-fort médiéval, dont la première construction remonte à 1260. Ses épaisses murailles et les douves l’encerclant lui ont valu d’être réputé imprenable. Alexis suggère d’attendre l’hiver pour que les douves soient gelées afin de donner l’assaut. Il y a de l’idée.
Les grandes salles du château présentent notamment l’invasion par l’Allemagne nazie puis l’occupation par les Soviets, dont l’Estonie garde un mauvais souvenir, à en croire les maximes caustiques écrites sur les marches d’escalier. Le château et ses remparts ont récemment fait l’objet d’importantes restaurations, comme c’est le cas du charmant centre-ville, malheureusement toujours livré aux cantonniers.
Le bord de mer est occupé par des centres thermaux modernes, où les femmes se font clacher de la boue sur la tronche pour être plus belles. Et elles payent pour cela.
30 juillet 2018.
Après une nuit encore chaude et humide, nous commençons la journée par une bonne séance d’école : une dictée, des mathématiques et du néerlandais, ça fait toujours plaisir. Ensuite, les kets ont bien mérité de se rafraîchir – plus ou moins – à la plage où l’eau doit bien dépasser les 26 °C.
Après, ça se complique. Il fait très chaud et humide, alors chacun s’occupe comme il le sent : Valentin termine le septième et dernier tome d’Harry Potter, Alexis écoute les histoires de Marlène Jobert, Catherine étudie la partie « Lettonie » de notre guide. Quant à votre serviteur, il a vraiment l’air d’un pauvre sukkeleir, assis sur chaise à l’ombre du CC garé en full sunshine. Quand le soleil est assez bas et que la température redescend enfin sous les 30 °C, nous retournons nous baigner, mais malgré la douche fraîche, je plekke de partout et je ne suis pas le seul, ce n’est vraiment pas le moment de se puuteler !
31 juillet 2018.
Départ matinal, il n’est que 9h30 soit 8h30 à Bruxelles, direction le cratère de Kaili. Il y 4.000 ans, un météorite assez gros, environ 1.000 tonnes, s’est écrasé à du 15 km/s (oui, oui, par seconde) pour former trou de cent mètres de diamètre et vingt mètres de profondeur. Boum. D’autres fragments du météorite originel de 10.000 tonnes, qui s’est décomposé en traversant l’atmosphère et qui était composé principalement de fer (91,5 %), se sont écrasés autour pour former d’autres impacts plus petits, 9 en tout, ça impressionne les kets.
Quelques kilomètres plus loin, nous arrivons sur le site des moulins à vent d’Angla, qui concentre d’authentiques moulins en parfait état, il y en a même un qui tourne encore, mais comme il n’est pas accessible au public, nous ne pouvons vérifier s’il est effectivement mû par le vent ou par un moteur électrique dissimulé dans sa roue, ça vous rappelle quelque chose ? En tout cas les kets sont étonnés que la force du vent puisse actionner de tels engrenages en bois et entraîner les grosses meules qui produisent la farine artisanale.
Nous continuons vers le Nord de l’île où la mer est plus belle, presque bleue transparente par endroit, mais le bivouac repéré s’avère être en plein soleil entre des toilettes sèches et un tas de cailloux. Bof, bof.
1er août 2018.
Vous l’aurez compris : hier après-midi, nous avons retraversé l’île du Nord au Sud pour retourner à la marina de Koiguste, une valeur sûre. Autant terminer en beauté notre séjour sur l’île de Saarema. C’est le genre de lieu qu’il est difficile de quitter et qu’on retrouve avec plaisir. L’objectif est d’y passer trois nuits, le temps que la canicule passe, avant de reprendre la route pour les dernières semaines de notre voyage.
2 août 2018.
Encore une journée relax, mais pas trop tout de même : un peu d’école et une terrible série de sauts dans la mer : mentions spéciales aux « saut du Fou de Bassant » signé par Valentin et « saut du dragon affamé » signé par Alexis. Catherine, elle, ne se mouille pas, si ce n’est sous une douche bien chaude. En début de soirée, un grand voilier battant pavillon néerlandais et flirtant avec les soixante pieds vient accoster après une longue manœuvre, avec à son bord, le légendaire Flying Dutchman. Sinon, les araignées commencent à envahir le camion, il va falloir se décider à lever les voiles.
3 août 2018.
Cette fois, c’est la bonne, nous larguons les amarres, le vent nous porte jusqu’à Parnü, encore de chouettes jeux de mots en perspective (vivement qu’on aille à Kaunas en Lituanie), la capitale d’été. La route est très bonne mais il fait toujours aussi chaud sous le soleil, merci l’airco. Nous stationnons le CC près du port et allons flâner dans les petites rues de Parnü, qui a été fondée en 1234 (facile à retenir), lors d’une époque révolue durant laquelle les jeunes demoiselles ne se promenaient pas mini-short, tellement mini que je peux affirmer – sans vantardise – que je serais arrêté pour attentat à la pudeur si j’en enfilais un. Au moins, c’est écolo : ça consomme moins de coton. A part cela, les bains de boue ont remplacé la manne des voiliers marchands et le skate-parc est devenu le seul élément de défense, par dissuasion, face à l’historique porte de Tallinn.
4 août 2018.
Notre dernière nuit en Estonie fut très bonne et il ne reste que quelques dizaines de kilomètres sur une route en excellent état, financée par l’Europe, avant d’atteindre la frontière que nous franchissons sans nous arrêter, c’est facile mais ça a moins de panache qu’en Asie Centrale.