10 avril 2018.
Petite journée, votre serviteur est complètement amorphe et puise avec bravoure – et abnégation – dans ses dernières ressources pour alimenter le blog, dispenser l’instruction à ses héritiers et assurer leur survie alimentaire. Alors que nous faisons quelques courses dans un supermarché, nous devenons vite l’attraction de la boutique, le personnel ne nous lâche pas d’une semelle et le manager en personne vient nous saluer et proposer son aide, mais tout va bien, les VW ont réussi à acheter quelques produits de première nécessité. A force de « discuter » avec les gardes du camping, je me replonge dans le guide de l’Iran. Saviez-vous que l’Iran couvre plus d’un million et demi de kilomètres carrés (1.648.195 km2, soit 54 fois notre petit Royaume) et compte environ 83 millions d’habitants ? Les Iraniens sont fiers de leur pays et de leur histoire, surtout l’ancienne, mais ils s’intéressent sincèrement aux étrangers que nous sommes. En tout cas, je ne suis pas trop fan de foot, mais merci à Eden Hazard, car c’est le premier nom qui vient quand j’annonce fièrement : « Belgique ». Evidemment, je ne m’attendais pas m’entretenir de trappistes avec les autochtones.
11 avril 2018.
C’est aujourd’hui l’anniversaire de notre grand garçon, qui se souvient encore très bien de ses 5 ans au Costa Rica, de ses 6 ans en Uruguay, de ses 7 ans à Valmeinier et maintenant de ses 8 ans à Isphahan. La frime. Anniversaire ou pas, nous préparons les mots de la dictée hebdomadaire avant de retourner en direction du centre-ville, dans le quartier arménien de Jolfa. Ce quartier date du début du 17ième siècle, époque à laquelle la communauté arménienne d’Isphahan comptait quelques 40.000 individus. Libres d’exercer leur culte dans les limites de la zone qui leur était dévolue, ils construisirent la cathédrale Vank entre 1606 et 1655.
Nous troquons ainsi quelques instants le traditionnel minaret orné de mosaïques abstraites contre un petit clocher et des fresques retraçant la vie de Jésus. L’attraction qu’exerce la place Naqsh-e Jahan étant trop forte, nous y retournons à pieds, non sans être passé sur – et sous – le pont Si-o-She Pol, soit le pont aux trente-trois arches, long de trois cent mètres, qui permet de traverser une rivière à sec. Bien sûr, nous ne quittons pas le centre avant d’avoir gouté les douceurs locales : le « fereni », une crème de riz arrosée de miel, et les « gaz », sortes de nougats très aérés et mous, épargnez-moi donc vos jeux de mots douteux.
12 avril 2018.
Après cinq nuits au même endroit, nous sommes contents de reprendre la route, en sortant de la ville sur de larges boulevards bien roulants et rejoignant le haut plateau désertique de la N65 à 2.200 m d’altitude. A chaque plein, c’est le même cinéma, il faut demander au pompiste ou à un camionneur de prêter sa carte pour pouvoir remplir le réservoir. Cette fois ci, je suis tombé sur un champion : il a attendu la moitié du plein pour me demander si c’était bien du diesel. Rassuré par ma réponse affirmative, il m’a alors proposé une clope. Je l’ai plus refusée parce qu’on était dans une station-service que parce que je ne fume pas. Là-dessus, il s’est allumé la sienne en me souriant. Même pas peur. Nous nous arrêtons à Pasagardes, pour visiter le tombeau de Cyrus, l’illustre descendant du roi Achémène qui n’était autre que le fondateur de la dynastie des achéménides, mais il commence à dracher sec, et le petit cénotaphe en pierre monté sur six niveaux, visible depuis la route ne nous motive pas plus que ça.
Nous poursuivons donc, toujours sous la pluie, jusqu’à Persepolis où nous pouvons bivouaquer sur le parking gardé du site historique. Le gardien me montre deux billets. Je sais que nos prédécesseurs n’en ont donné qu’un : par principe, je lui fais non et je lui en tends un seul. C’est bon. Tout au long du trajet, de 440 kilomètres tout de même, les kets ont été exemplaires, comme à chaque fois. Ils commencent par lire des livres. Alexis a déjà lu en un mois les livres qu’on avait prévu pour six, soit une bonne douzaine de bouquin, et autre chose que des Oui-Oui. Heureusement qu’il a reçu du rab pour son annif et que Catherine a trouvé les Harry Potter manquants dans la bibliothèque électronique des Mollalpagas, encore eux. Valentin lit dans le sillage de son grand frère, mais il est souvent rêveur à regarder le paysage. Lorsqu’ils ont assez lu, ils ont droit à la Storio, au petit jeu électronique ou de préférence à la vieille tablette de ma Grand-mère (dikke kussen Oma) pour regarder plein d’émissions et de reportages que j’ai chargés, style les Grands Mythes de l’Histoire, les Grands Personnages de l’Histoire, les Grands Chantiers du Monde, etc. Bref, ils vont nous ratiboiser au Trivial Pursuit à notre retour.
13 avril 2018.
Comme chaque jour depuis deux semaines, mon épouse revêt son voile avant de sortir du CC. Elle en a choisi un qui fait ressortir son teint hâlé et ses beaux yeux verts. Si elle n’adhère pas aux principes fondateurs du voile, elle en accepte toutefois le port avec résignation, pas seulement par obligation, mais plutôt par respect pour le pays qui nous accueille, et sans doute aussi un peu par solidarité envers les autres femmes. Et moi aussi, je m’y habitue. J’ai l’impression d’avoir un joli paquet cadeau que je peux déballer tous les jours, c’est génial. Ce qui est moins génial, c’est la pluie qui persiste au réveil. Nous devons bien être les seuls paumés à se les geler sous la pluie mi-avril en Iran ! En plus, c’est vendredi, donc c’est dimanche, le site est blindé quand le soleil arrive enfin. Il y a une file pour les tickets et encore une file pour entrer sur le site. Non merci.
Nous prolongeons la séance scolaire et reportons la visite à demain. C’est donc l’occasion pour Catherine d’étrenner son four tunisien. Comme il n’y a pas de vrai four dans le CC, ma petite boulangère préférée tente de cuire une miche bien ronde (un tore de révolution pour être précis) sur le bec à gaz, sous cloche. Le succès est au rendez-vous et c’est le bon moment pour sortir une petite terrine de foie de volaille, arrosée d’un bon verre de château d’eau en bouteille.
14 avril 2018.
Quel plaisir de manger du bon pain, il sied à merveille à nos dernières réserves de Vrai Sirop de Liège. Il est à peine 8h du mat’, le parking se remplit déjà, nous ne traînons pas. Armés de nos tickets et d’un masque de visionnage 3D, nous nous lançons à l’assaut de la capitale de l’empire achéménide, dont la construction, débutée sous l’égide de Darius, premier du nom, en 518 avant JC, fut stoppée net deux siècles plus tard par l’assaut fatal d’Alexandre le Grand en 331, avant JC aussi.
Nous sommes bien contents de pouvoir montrer in situ les reconstructions 3D aux kets afin de mettre des images sur les hippostyles, apadanas et autres propylaea. Le site a beau être vaste, ça commence à se bousculer au portillon et j’ai du mal à trouver des angles de vue sans casquette, stick à autoportrait ou guide dithyrambique tenant un parasol.
Nous levons le camp en fin de matinée pour nous rendre à Shiraz, point le plus méridional de notre parcours. Le bivouac classique, rendez-vous des voyageurs, y est le parc Azadi où je gare le CC à côté du kot du gardien et d’un énorme camion allemand qui nous fait passer … pour des touristes. Une famille française s’arrête dans la soirée, ce qui permet aux kets de sortir de leur vase clôt et de jouer avec trois adorables petites filles.
15 avril 2018.
Il n’est que 7h du matin, mais les habitants de la ville commencent déjà à investir le parc, ce sont majoritairement des personnes d’âge mûr qui viennent faire du sport, jeux de ballons et de raquettes sont au rendez-vous. Le cœur plein d’espoir, nous nous rendons à la station de métro Imam Khomeini, qui est fermée pour cause de travaux. Nous nous contentons donc d’un taxi pour rallier la Masjed-e Nasir-al-Molk, vous aurez évidemment identifié la raffinée mosquée rose, où nous sommes accueillis en français par un imam qui demande aux kets s’ils savent pourquoi certaines briques de son iwan sont en bois. Bien sûr qu’ils le savent (Cath vient de leur lire le guide), c’est pour permettre au bâti de mieux résister aux tremblements de terre. Bingo, ils ont gagné une carte postale, reste plus qu’à trouver des timbres.
Nous poursuivons à pieds vers le Bagh-e Naranjestan, ou le Jardin de l’Orangerie, bien fleuri mais dépourvu d’orange en ce moment, dont le pavillon accueillait le gouverneur qui se rinçait bien l’œil devant les fresques illustrant de jeunes teutonnes aux formes généreuses.
Sans transition, il fait faim, nous trouvons un petit resto planqué dans une cave au fond du Bazar-e Vakil. Catherine y prend un dizi, le pot-au-feu typique qui se mange en séparant la soupe de la potée (légumes, viande grasse et pois chiches) qu’il faut écraser avec un pilon. C’est bon mais roboratif, la promenade digestive qui s’en suit nous mènera au Musée Pars, niché dans le Bagh-e Nazar qui jouxte la citadelle Arg-e Karim Khan. Le jardin est agréable, et le musée est petit mais intéressant : le sabre du général Karim Khan Zand y est exposé.
Là-dessus, nous avons bien mérité une glace à la rose, plus sucrée que rafraîchissante. Au péril de notre vie, nous rentrons à pieds au motorhome. Chaque traversée de chaussée est un challenge, et ne croyez pas que les passages piétons ou les feux tricolores sont un gage de sécurité : ils ne sont là que pour décorer. Se réfugier sur les trottoirs n’offre aucune garantie, ils sont le domaine des deux roues motorisés. Ici plus qu’ailleurs, motard rime avec …
16 avril 2018.
Un bon petit-déj avant une longue journée de route. Nous ne descendrons pas plus au Sud que Shiraz et nous rebroussons donc le chemin sur environ deux cent kilomètres, jusqu’à l’embranchement avec Yazd, notre destination. La route est en bon état, il y a quelques étals de maraîchers avant d’atteindre le haut-plateau à 2.200 m : « C’est comme à Wépion, sauf qu’ici, ils vendent des pastèques à la place des fraises » observe mon épouse. Je ne me lasse pas de ses commentaires avisés, imaginez comment cela occupe les 450 kilomètres de la journée.
Mais aujourd’hui, nous avons eu droit à mieux que ça : de la pluie en plein désert. Bon, pour un Belge, cela n’a rien d’extraordinaire, mais cela reste assez rare par ici. Par contre, ce qui nous a bien calmés, c’est la montagne de sable qui nous est tombée dessus. Je l’ai vue arriver sur la gauche et j’avais beau pousser sur le champignon pour y échapper, rien à faire, cet immense nuage de sable avançait inexorablement jusqu’à nous envelopper.
Rien d’autre à faire que d’arrêter le camion sur le bord de la route et d’attendre que ça passe ! Après ça, plus rien de spécial, un col à 2.600 m et un bivouac sur le parking gardé d’un parc à l’entrée de la ville.
17 avril 2018.
Il fait encore très froid ce matin, mais nous ne nous en plaignons surtout pas : la canicule arrive dans trois jours. Nous tentons le parking du Silk Road Hotel dans le centre historique, mais la pente en virage serré encombré d’autres voitures est trop risquée pour le porte à faux arrière du CC, qui trouvera une bonne place au calme sur un parking privé tout proche. Le Musée de l’eau, abrité dans une magnifique demeure sise sur un qanat, un aqueduc souterrain, présente toute l’ingéniosité des perses pour développer la vie dans cet environnement chaud et aride. Il fait toujours aussi froid, sauf quand nous y croisons sur un groupe d’étudiantes, tombées sous le charme de mes héritiers, qui ressentent la pression qui devait peser sur les 2 Be 3.
Après une bonne séance d’école, avoir et être ou ne pas être, telle est la question, nous nous rendons au vieux réservoir d’eau, le fameux Saheb A Zaman, qui accueille aujourd’hui une maison de force (zurkhaneh). Quelques athlètes s’entraînent à l’art du varzesh-e pahlavani, le sport traditionnel iranien qui allie lutte, culturisme et gymnastique dans cette vieille salle mal ventilée où s’entassent des dizaines de curieux occidentaux à qui il a été demandé de retirer les chaussures. Bref, le camembert se mélange avec le cheddar et le gouda. Mais le spectacle est impressionnant !
18 avril 2018.
La nuit fut fraîche, mais l’air se réchauffe vite avec l’arrivée du soleil. Les kets ne sont pas très motivés pour la séance d’école, nous en rajoutons donc une petite couche pour leur faire la leçon, et le retard accumulé sera pris sur le temps de jeu (en vrai, j’ai l’impression qu’on est en légère avance sur le programme mais, chut, il ne faut pas leur dire, ça sera notre secret). La bonne humeur est pourtant au rendez-vous : Catherine appelle l’ambassade du Turkménistan, il n’y a pas de Ferrero Rocher, mais nos visas de transit sont accordés et nous pouvons les retirer à Maschad, dernière grande ville sur notre parcours iranien. Soulagés par cette bonne nouvelle, d’autant plus que ce même visa de transit vient d’être refusé au couple de Genval rencontré sur la route le jour de notre arrivée dans le pays, nous nous promenons longuement dans les petites rues étroites de la vieille ville.
Notre parcours longe de grands murs en torchis brun, et nous arrête çà et là pour passer une porte ouverte : hôtel de charme, boutique à touristes, boulangerie authentique si pas antique, atelier de tisserands. La magie de Yazd opère sur nous. Nous mangeons du ragoût de chameau, viande qui passerait très bien en carbonades à la flamande, au resto du Silk Road Hotel et y réservons, auprès de Reza, une petite excursion dans le désert pour demain. Retour au CC pour une nouvelle séance d’école avant de lâcher les fauves pour jouer à la baballe avec quelques autres gamins.
19 avril 2018.
Après une bonne séance d’école, nous allons encore nous promener dans le bazar et la vieille ville, comme ça juste pour le plaisir, main dans les poches sans faire de photo. Nous sommes bien à l’heure au rendez-vous fixé avec le chauffeur qui va nous mener au campement de rêve dans le désert. Au programme : bungalow familial « smooth and remotely », promenade à dos de chameau, coucher de soleil et nuit étoilée. Après deux heures de route, nous arrivons au campement et c’est la déconvenue la plus complète. Le chalet privatif n’est qu’une piaule parmi d’autres dans un bâtiment en béton sans charme au bord d’un terrain vague en chantier qui sent le pétrole, les belles dunes sont jonchées de détritus et l’accueil est inhospitalier au possible.
Le chauffeur nous propose d’aller voir un autre camp, mais la confiance est rompue, nous demandons le retour à la case départ et le remboursement intégral de notre conséquente P.A.F. Les kets sont déçus nous de même, mais pas question de rester dans ce trou, retour à la case départ.