14 mai 2018.
Nous n’étions pas certains, en partant il y a deux mois, d’avoir l’occasion de faire quelques tours de roues au Tadjikistan, le plus petit pays d’Asie Centrale avec 143.100 km2 (4,7 fois notre Royaume), n’ayant pas déjà trouvé d’alternative valable à la route du Pamir, difficilement praticable avec notre grand camping-car familial. L’ouverture récente de la frontière près de Samarcande, la possibilité de rejoindre Osh, au Kirghizstan, directement depuis le Nord-est tadjike en évitant les enclaves ouzbèkes (sur toutes les cartes, la route Batken-Osh traverse des territoires ouzbèkes alors que des contournements viennent d’être inaugurés) et le passage difficile en raison des contrôles réguliers dans la vallée de la Fergana, nous ont décidé à prendre les visas tadjikes en ligne (très facile : il suffit d’avoir une carte de crédit) quand nous étions à Boukhara.
L’accueil à la frontière est très cordial et les formalités sont pliées en dix minutes, jusqu’à la fameuse taxe routière. Selon l’officier, le camping-car entre dans la catégorie « cargo-truck » de 12 tonnes. C’est vrai que notre camion a peut-être un léger surpoids, malgré ma vigilance, mais il reste dans les tolérances autour de 3,5 tonnes et reste surtout en permis de conduire de catégorie B comme voiture ou fourgon. L’officiel n’en démord pas, moi non plus. Je sens que ça va durer, je branche le CC sur une prise qui passe par là et j’appelle mon épouse à la rescousse, quand l’agent me montre son smartphone avec Google Translate : « Please remain seated and calm down ». Je suis très calme, moi, mais il ne faut pas me prendre pour une truffe. La pugnacité et le charme de ma douce finissent par agir, surtout quand elle mime un gros camion de 12 tonnes devant les officiers interloqués. Finalement, le CC passe en catégorie minibus et l’agent s’excuse en expliquant qu’il n’avait jamais vu de véhicule comme le nôtre. Sans rancune, nous lui proposons du chocolat made in Belgium, le meilleur du monde, quoi qu’en pensent nos amis suisses, et nous roulons jusqu’à Pendjikent, sur une route en parfait état, au travers d’une vaste plaine verdoyante entourée de montagnes. La rue principale est encombrée mais nous trouvons un coin tranquille près des fouilles archéologiques d’une ancienne cité sogdienne (comme vous le savez, la Sogdiane couvrait la région comprise entre l’Amou-Daria et la Syr-Daria) du 5ième siècle.
Il faut faire preuve d’imagination et nous ne trouvons guère plus que quelques fondations et restes délabrés de murailles, mais la promenade est agréable et le panorama magnifique. Nous offrons encore quelques doudous aux enfants qui jouent dans la rue, s’ils savaient seulement qu’ils les doivent à la générosité des collègues de Catherine et aux membres du C.E. de sa boîte ! Près du bazar, nous achetons une carte sim Babilon, avec l’aide d’une charmante dame parlant anglais, puis nous nous régalons de quelques samosas.
15 mai 2018.
La fleur au bout du fusil, nous quittons Pendjikent dans la matinée, mais nous ne savons pas encore ce qui nous attend. Au début, tout va bien. La route est bonne, le paysage est grandiose, les kets discutent de moldus et de Poudlard. Nous remontons la vallée le long de la rivière Zeravchan jusqu’à Ayni où nous bifurquons au Sud, vers Douchanbé, la capitale tadjike. C’est là que ça se corse. La route grimpe pour atteindre le col à 2.700 m puis s’ensuit une très longue descente et succession de tunnels peu, voire pas éclairés, sous une pluie diluvienne.
Globalement, la voirie est en bon état, mais elle porte les stigmates de l’hiver et de glissements de terrains sur une trentaine de kilomètres (15 avant et 15 après le terrible tunnel d’Anzob, long de 5 km, à moitié éclairé et sans ventilation). Il se fait tard, la drache ne faiblit pas et nous voulons atteindre le Jardin Botanique à l’entrée de la capitale, alors quand un policier me fait signe d’arrêter à un contrôle, je lui adresse un coucou amical et je passe mon chemin. Vraiment pas les nerfs de l’entendre zievereer celui-là.
16 mai 2018.
A part la pluie, la nuit fut calme, le CC était garé juste devant la porte du Jardin Botanique, que nous visitons à la faveur d’une trop courte accalmie. Les serres sont déglinguées mais de beaux petits pavillons en bois entourés de rosiers en fleurs agrémentent la balade humide.
Rien de mieux qu’un musée national quand il pleut, nous nous y rendons en CC, mais nous restons bloqués vingt minutes à un carrefour, la faute au convoi du président de la Biélorussie, en visite officielle. Il n’y a pas de parking devant le musée, mais un peu plus loin à côté d’un hôtel. Le temps de manger et de donner les leçons aux kets (les leçons bien sûr, pas la leçon), il ne pleut plus, autant aller se promener dans le parc du plus haut drapeau du monde : le mât fait 164 mètres ! Les parcs sont bien aménagés, propres et nets, avec de beaux rosiers en fleurs, de grandes fontaines et les statues des héros nationaux.
17 mai 2018.
Notre parking bien calme la journée a été très animé cette nuit, la faute au karaoké de l’hôtel où se sont succédées de fameuses casseroles avant une apothéose de techno tadjike, ça décoiffe. La pluie s’est momentanément tarie, nous marchons quelques minutes le long des ministères pour rejoindre le fameux musée national. En bons élèves, nous suivons tout le parcours sur quatre niveaux et y passons près de deux heures.
Ce sont surtout les chiffres clés du pays qui m’ont impressionné : le sommet du Mont Ismael Samani en est le point culminant à 7495 m, le glacier Fedchenko s’étend sur 77 km dans le Nord-Pamir, les températures les plus extrêmes enregistrées présentent un écart qui frôle les 110 °C (de +46,7 à -63, mais pas au même endroit). Les kets ont apprécié l’exposition numismatique et les salles consacrées à la faune. Catherine a cherché en vain le nom de la Belgique dans la salle qui concentre tous les présents reçus par le président. Après ça, nous nous offrons une après-midi chill out dans un resto branché du centre.
18 mai 2018.
Pas de karaoké cette nuit, nous avons enfin bien dormi. Il nous faut remonter ce fameux col et ses tunnels lugubres, mais ça passe bien mieux sans la pluie, sauf qu’il faut traverser quelques troupeaux de moutons. Passé Ayni, nous sommes donc en terrain inconnu qui nous réserve mon seulement la surprise d’un paysage grandiose dans lequel on se sent tout petit, même en camion de 3,5 tonnes, mais aussi d’un autre col à 2.700 m.
La longue descente qui s’ensuit jusqu’à Istaravchan est douce comme les collines verdoyantes que la route traverse. Nous avons la bonne idée de passer par le centre-ville, ça joue des rétroviseurs devant le bazar, mais le CC arrive indemne à la forteresse Mug Teppe qui avait été prise par Alexandre le Grand en 329 avant J.C. Apparemment, elle ne s’en est jamais remise vu qu’elle fait toujours l’objet de profonds travaux de rénovation. Comme ça me manque vraiment beaucoup, je vais jouer l’inspecteur des travaux finis, le site restant accessible au public, malgré les travaux, personne n’a rien trouvé à y redire.
19 mai 2018.
Horaire de chantier oblige, le réveil est matinal, ce qui nous permet d’arriver bien avant midi à Khodjent la deuxième ville du pays, qui est coupée en deux par la Syr-Daria. Le bazar Panchshanbé est abrité dans une vaste halle colorée récente (1964) et jouxte le complexe islamique du Cheikh Massal al-Din, plus ancien d’un siècle. Le bazar est réputé être animé et bien achalandé, il est vrai que nous y trouvons de beaux fruits, du bon pain et seulement quatre braves touristes qui distribuent des doudous aux enfants défavorisés.
Face au fleuve, la vieille citadelle du 10ième siècle est en travaux, elle fut la triste scène, en 1997, d’une bataille entre l’armée tadjike et des rebelles ouzbèkes qui fit trois cent morts. Il n’en est pas question dans le petit musée historique de la province qui n’en est pas moins intéressant avec des fresques en 3D. Ce qui est encore plus intéressant, c’est la petite pâtisserie dans laquelle nous trouvons quelques victuailles qui assureront notre survie.
20 mai 2018.
C’est aujourd’hui dimanche, mais point de relâche pour les kets, une séance d’école le matin avec maman, puis une séance d’école l’après-midi avec papa. Entre les deux, un petit resto et quelques courses au bazar.
21 mai 2018.
Une semaine, ce n’est pas long, mais nous sommes enchantés de notre séjour au Tadjikistan. Il ne reste qu’une centaine de kilomètres jusqu’à la frontière, la route sera tantôt bonne, tantôt mauvaise. Nous nous arrêtons à Isfara, où nous changeons nos derniers somonis en soms.
Après les dix derniers kilomètres assez chaotiques, nous arrivons au poste frontière où nous suscitons la plus grande perplexité. Nous précisons que nous sommes « turist », au cas où ce n’était pas évident, et la grille s’ouvre enfin. Les agents vérifient nos visas, et nous invitent cordialement à revenir dans leur beau pays.