28 avril 2018.
Quand le premier agent à qui je donne les passeports, me demande, après les avoir longuement observés : « Where are you from? », je comprends qu’on n’est pas rendu et que le pey n’a pas toutes ses frites dans le même sachet. D’ailleurs, à trois guichets consécutifs, un officiel m’a demandé un pourboire une fois sa lourde tâche accomplie (un tampon sur une feuille). Nyet, il y a déjà assez de taxes à payer comme ça, et même une nouvelle taxe pour un GPS qui doit être branché dans le CC sur tout le trajet, jusqu’à la sortie du pays ! Finalement, le contrôle même du véhicule est vite expédié, parce que je fais comprendre aux agents que deux heures de paperasseries, c’est plus qu’assez, que les kids ont faim et que nous avons encore de la route à faire. Je leur mets la pression, mais je traîne en exprès pour ouvrir les coffres et armoires, en jouant à l’idiot, ceux qui ne me connaissent pas savent que j’excelle en ce domaine. La seule question piège est venue d’une douanière, ces femmes sont connues pour leur sens pratique : « How make the wash ? » (Comment faisons-nous la lessive). Ben, avec de l’eau et du savon, m’fille. Sur cette révélation, nous pouvons partir, mais nous avons instructions de rouler sans arrêt jusqu’à la capitale, et sans prendre une photo. J’en ai donc pris deux.
La route descend mollement vers la vallée au travers d’un magnifique paysage. L’arrivée en ville est surnaturelle, surtout quand on vient d’Iran, des immeubles modernes immaculés (mais pas une grue-tour en vue), des boulevards étincelants, un trafic inexistant. Dès qu’on s’écarte de ces nouvelles artères, ça devient presque normal, en plus propre.
J’arrête le CC sur le parking de l’hôtel Ak Altyn, l’accueil y est sincèrement courtois, et le pub d’en face me donne gracieusement son code du Wi-Fi. Nous sommes idéalement situés : à côté d’une discothèque, d’un karaoké et d’une fête de mariage. Et comme c’est samedi, la nuit s’annonce vraiment … nocturne. En attendant, j’enfile un short et un t-shirt, je ne m’y risquais pas en Iran tandis que mon épouse a remisé son voile. Je fais du change au Tekke Bazaar, où il m’est offert le quadruple du taux officiel (13 manats au lieu de 3,5 contre 1 USD), de quoi largement compenser un coût de la vie bien plus élevé qu’en Iran. Le visa de transit qui nous a été octroyé ne nous autorise que cinq jours pour traverser et quitter le pays, ce qui n’est pas évident compte tenu de la sinistre réputation des routes en dehors de la capitale. Nous devrions quitter Achgabat dès demain matin, mais il y a un beau cirque en face de l’hôtel, une représentation y est programmée demain soir.
Allons-nous prendre le risque de griller notre seule journée de réserve ? Non peut-être ! Nous prenons quatre billets et retournons au CC pour admirer les ravissantes dames invitées au mariage : robe colorée très cintrée et longs cheveux découverts, pour sûr que ça nous change des Iraniennes aux tenues plus … sobres.
29 avril 2018.
Nous avons donc toute la journée devant nous avant la soirée au cirque, nous partons à pieds pour un long city-tour dans cette petite capitale d’un million d’habitants. Nous commençons par le musée des Beaux-Arts, le seul ouvert ce dimanche. Le ticket d’entrée y est affiché en USD, mais on ne me la fait pas : j’exige de payer en manats, au taux officiel bien sûr. Le musée est sis dans un bâtiment très imposant, « C’est pas du petit escalier », évalue très justement ma tendre épouse devant l’escalier monumental qui mène à l’étage.
Y sont notamment exposés quelques tableaux de l’école flamande et surtout les chefs d’œuvres aux jeux de lumière étincelants du maître Alexandre Kisseliov, des années que j’en cherchais un tableau original. Non, j’déconne, je ne connaissais pas, mais il gagne à être connu. De là, nous voulons continuer sur de larges trottoirs désertiques en direction des ministères et d’un palais, renseignés dans le guide, mais des policiers nous en interdisent l’accès, nous devons rebrousser chemin. Direction la place de l’Indépendance, également bordée de ministères, puis la statue de Lénine, où les bâtiments deviennent plus anciens et austères vu qu’ils ont été édifiés pendant la période soviétique.
Après une petite pizza étonnamment bonne, près de l’hôtel Paytagt, nous nous rendons au bazar russe. Il est vrai que la communauté russe est encore fortement représentée et facilement reconnaissable par des traits occidentaux qui diffèrent du type très asiatique des Turkmènes, et par la taille des vêtements, assez minis pour les jeunes femmes russes.
Nous prenons le goûter dans une pâtisserie, la meilleure de la ville selon Valentin, puis nous rentrons au CC pour une séance d’école sur les grandeurs avant d’aller au cirque pour une soirée mémorable. Les codes universels du cirque sont respectés : un monsieur Loyal, des clowns, des jolies filles et des garçons en collant qui s’envoient en l’air sur des chevaux lancés au galop (relisez calmement cette phrase, au premier degré). Du pop-corn pour les kets, et plein d’émotion dans leurs yeux, nous nous félicitons d’être restés pour le spectacle.
30 avril 2018.
Près de 600 km nous séparent du poste frontière de Dashoguz, où nous entrerons en Ouzbékistan. Plus de la moitié de cette route est réputée être cauchemardesque. En effet, ça roule correctement jusqu’à Yerbent, dernière ville pour l’appoint de combustible avant longtemps (300 km sans une station). Mais après, ça se gâte.
Il n’y a pas de ligne au sol, j’utilise donc toute la largeur de voirie, un bon 15 mètres, pour slalomer entre les crevasses et zigzaguer entre les nids de poule. Et je peux vous assurer que les poules ici, ce sont de sacrées belles bêtes. Le policier qui suit la trace GPS du CC va finir par croire que je suis complètement schelzat. Cahin-caha, nous arrivons à Darvaza, bled paumé mondialement connu pour ses trois cratères, un rempli d’eau, un autre rempli de boue et le dernier, le plus spectaculaire, rempli de flammes. Après sept heures de route pour un malheureux 270 km, j’arrête le CC à côté d’un vague campement en devenir.
Le tenancier du meilleur restaurant de Darvaza (c’est le seul) sait pourquoi nous sommes là : il nous faut sa jeep et le kamikaze qui va avec pour approcher la Porte de l’Enfer après sept kilomètres de piste sablonneuse en off-road sauvage. Dès la sortie du véhicule, le spectacle est saisissant, et la chaleur intense. Le souffle des flammes semble faire vrombir les entrailles de la terre, mais le phénomène n’a rien de naturel, il s’agirait tout simplement du résultat de l’exploitation ratée d’un site gazier, et qui produit ces flammes depuis des décennies.
1er mai 2018.
Je savais que la journée serait longue, mais pas à ce point-là. Après quatre heures et demie d’une conduite intensive, nous avons finalement franchi la barre des 100 km. Il en restait alors encore 180, dont la moitié du même acabit. Déglinguée, explosée, ravagée. Démontée, craquelée, trouée. Dévastée, râpée, défoncée. Cette route de merdre m’a fait perdre mon légendaire sens de l’humour. Une journée à oublier.
2 mai 2018.
Nuit calme, donc très bonne, à côté de ce magnifique hôtel dans le plus pur style soviétique : une barre de béton rouillé (si, si, c’est possible). Nous quittons assez tôt cette grande ville de campagne, dotée de quelques monuments impressionnants et d’un hippodrome qui accueille les renommés chevaux turkmènes, les akhal téké.
Nous ne manquons pas de faire le plein de diesel, denrée très rare dans le pays suivant, et de dépenser nos derniers manats en produits d’absolue nécessité (choco à tartiner, confiote, biscuits). Le poste frontière n’est qu’à une dizaine de kilomètres de la ville, et nous y sommes vite, mais la file est déjà longue, très longue. Pas de problème, nous sommes des touristes et les agents nous font passer avant tout le monde, et tout le monde trouve cela normal. Ok, ça me va ! Catherine gère les kets et les déclarations de je ne sais pas quoi tandis que je gère le contrôle de sortie du véhicule. Tout se passe très bien, rapidement (une petite heure) et cordialement, dans un anglais bien meilleur qu’à la frontière d’entrée. Le plus difficile aura été de gérer en même temps les quatre agents qui voulaient toucher à tout dans la « machine », excités comme des gamins qui reçoivent le dernier jouet à la mode. Nous sortons donc le cœur léger de ce pays qui, sans oublier que c’est une dictature où règne un sentiment oppressant (tracking GPS, restriction de photo, visa de transit limité à cinq jours), nous a réservé un excellent accueil (sauf la route d’hier).